Sous ce titre en clin d'œil au livre-culte de Nicolas Bouvier, le voyage en Iran du romancier français présente trois centres d'intérêt. Le premier est évidemment le récit d'un voyage à partir de Téhéran d'abord vers le sud-est, jusqu'au Baloutchistan, puis vers le nord-ouest en terre kurde et retour par Téhéran afin de prendre l'avion pour la France. Le second tient au contexte du soulèvement des Iraniennes contre la dictature inhumaine et misogyne des mollahs en 2022. Le troisième c'est la comparaison du voyage du jeune français avec celui de son prédécesseur helvétique.
De la traversée du pays on retiendra moins la dimension touristique et gastronomique — des kebabs, encore des kebabs ! — que les rencontres avec de rares visiteurs européens peut-être inconscients des dangers qu'ils bravent, ceux de la police religieuse ou du désert, et avec les migrants afghans fuyant les talibans, venus en Iran trouver un travail sous-payé et une liberté toute relative avant de migrer vers d'autres cieux.
Du contexte politique dépend une certaine tension entretenue d'un bout à l'autre du livre. Se rendre en Iran étant fortement déconseillé par les autorités françaises, l'auteur doit éviter d'afficher trop ouvertement sa sympathie pour les Iraniennes et Iraniens qui crient « Mort au Dictateur ! » ou tiennent des propos susceptibles de vous envoyer en prison, et dans le cas d'un étranger augmenter la collection d'otages du régime. Il fréquente malgré tout des opposants déterminés réagissant à la mort sous la torture de l'étudiante Mahsa Amini et autres martyrs de la liberté. C'est quand François-Henri Désérable veut se rendre sur la tombe de l'étudiante martyre, près de Saqqez au Kurdistan, que les Gardiens de la Révolution le somment de déguerpir du pays.
Les amateurs de littérature de voyage retiendront plutôt le jeu de va-et-vient entre le récit de Désérable et celui de Bouvier qui, six décennies plus tôt, voyageait avec son ami illustrateur à bord d'une Fiat Topolino, toujours en panne. Désérable traverse le désert de Lout en camping-car confortable, et il bénéficie d'Internet pour transférer ses photos en Europe sans rien perdre. Et puis les villes traversées ont changé... Sans doute ont-elles perdu leur charme. Cet “exotisme” qu'avaient trouvé les Suisses au temps du shah... s'est usé.
Tout cela est raconté avec légèreté et à peine quelques petites familiarités de langue qui nous éloignent d'un autre précédent récit, le voyage de Pierre Loti à travers ce qui était encore la Perse.
• François-Henri Désérable : L'Usure du Monde. Une traversée de l'Iran. Gallimard, 2023, 153 pages.