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 Raconter la vie  d’un jeune cuisinier, c’est découvrir les coulisses du monde de la restauration, prendre la mesure des rapports de pouvoir dans cette micro-société masculine. Maylis de Kerangal a su garder le parler familier, cool, de ce jeune Mauro, cuisinier original, autodidacte. On visite, en suivant son parcours, maints lieux de commensalité, du restaurant gastronomique traditionnel à la bonne adresse branchée et inventive, qui dessinent un kaléidoscope surtout parisien.

 

   « Déterminé et farouche », ce jeune homme filiforme n’a rien de « la générosité expansive des professionnels des métiers de bouche ». De son enfance à Aulnay, entre mère et grand-mère, il a gardé le goût de bien manger. Adolescent il aimait cuisiner pour ses copains. Pourtant il n’a pas suivi la filière hôtelière mais des études de Sciences Économiques à Censier, ponctuées de jobs d’été en restauration. Reçu au CAP et au master, Mauro avait ainsi « deux fers au feu ». Peu à peu s’est affirmée sa passion pour la cuisine ; il a enchaîné les contrats mais a souvent abandonné vu les conditions de travail car « c’est toujours le cuisinier qui s’en va, jamais le patron qui le vire, la main-d’oeuvre est bien trop rare ! ». À bientôt trente ans Mauro poursuit son rêve du restaurant idéal.

 

   Un parcours hors normes dans ce monde violent et inhumain. En cuisine, une brigade  de jeunes, dont quelques apprentis, de dix-sept ans, la plupart relégués de l’Éducation Nationale, gamins en échec scolaire orientés à défaut vers la restauration sans motivation pour le métier. Face à elle des chefs et une organisation militaire : obéissance, discipline. Une erreur et le jeune reçoit, comme Mauro, une cuiller en plein visage. « La violence, c’est une vieille antienne des cuisines » que les chefs estiment « normale » et même pédagogique : leur en « faire baver » élimine les faibles et les insoumis. S’y ajoute la violence psychologique, « le management par la pression », quand vient l’heure du coup de feu et qu’il “faut envoyer” et être plus performant que son collègue. Qui plus est, ce métier sans horaires fixes réduit la vie personnelle du cuisinier comme peau de chagrin. Mauro en a fait l’expérience dans un restaurant où les dépassements d’horaires allaient parfois jusqu’à deux heures du matin. Privés de vie de famille et de sorties, le corps exténué, le mental épuisé, la solitude devenant insoutenable, beaucoup de cuisiniers renoncent. Mauro a suivi ainsi un long « Chemin de tables » sans vraiment trouver sa place : sa passion ce n’était pas le métier de cuisinier mais la cuisine, le travail des produits bruts, bio, découverts dans les circuits courts, du producteur au plan de travail..

 

   On comprend grâce à ce récit que le « vrai cuisinier » n’est pas toujours celui qui se montre en salle et serre les mains à la fin du service, le chef converti en people des grands restaurants gastronomiques. C’est celui qui a le respect des produits, qui les transforme le moins possible. C’est surtout celui qui aime offrir et partager, abolissant la distance entre la cuisine et la salle : rares sont encore ces cuisiniers, sensibles et généreux.

 

   • Maylis de Kerangal. Chemin de tables. Seuil, “Raconter la vie”, 2016, 101 pages.

 

Lu et chroniqué par Kate

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #SOCIETE, #RACONTER LA VIE
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