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Un ovni, une chose inclassable : tel est ce « bréviaire » consacré au monde méditerranéen par l'auteur croate devenu italien depuis que les explosions nationalistes ont eu raison de l'utopie yougoslave qu'il partageait avec Ivo Andrić.

De quoi s'agit-il en fait ? Ni d'un guide du routard, ni d'un essai géographique ou ethnographique. Ça fait penser au principe du ''Dictionnaire amoureux...'', mais sans classement alphabétique. Dans sa préface, Claudio Magris qui se dit « potamologue » pour avoir écrit ''Danube'' qualifie l'auteur croate de « thalassologue » - mais d'une science qui ne doit pas déborder des rivages fondamentaux de Mare Nostrum. On reste à l'écart de l'Atlantique que les Arabes appelaient « mer des Ténèbres (Bahr al-Zulumat)». L'omniprésence lumineuse de la Méditerranée se niche jusque dans un procédé d'écriture puisque chaque développement se termine par une phrase qui contient le mot ''Méditerranée'' que nous nommons ainsi plutôt que ''Grande Mer'' probablement à la suite d'Isidore de Séville...

 

Des trois parties : Bréviaire, Cartes, Glossaire, c'est la seconde qui m'avait fait acheter cet ouvrage, par intérêt pour la cartographie passée, en un temps où les ressources du web n'existaient pas ; en effet l'évocation des cartes anciennes est accompagné de reproductions (en noir et blanc). De nombreuses cartes de villes et de pays jalonnent le livre, particulièrement des planches extraites des ''Civitates orbis terrarum'' par Braun et Hogenberg, fin XVIe siècle –ci-dessous exemples de Marseille et Jérusalem– ou encore la fameuse carte de la Palestine due à Fernando Bertelli (1563) consultable sur le site de la BNF. Il faut retenir aussi les précieuses considérations sur les roses des vents dont l'Atlas catalan de 1375 serait la première occurence.

 

Marseille à la fin du XVIe siècle

 

Le ''Glossaire'' revient de manière plus érudite sur des éléments d'abord rencontrés en lisant le ''Bréviaire'' qui fonctionne un peu à la manière d'un touriste touche à tout, s'intéressant aux phares, aux marchés (souks) ou aux filets de pêche. Les jurons méditerranéens côtoient des propos savants sur les poids et mesures. Esprit pratique néanmoins, l'auteur nous explique comment on fabriquait le goudron (végétal), comment on travaillait le chanvre et fabriquait des filets de pêche. Plus poétiquement, la description du décor méditerranéen fait évoquer la flore et les cigales. À la relecture, aujourd'hui, ce sont ces méditations et ces propos variés qui font le charme de ce livre inépuisable, labyrinthique, de seulement 250 pages.

 

Jérusalem au XVIe siècle

La troisième partie, jubilatoire, déborde véritablement d'érudition. D'où la forte consommation d'une drogue particulière constituée d'étymologie et de linguistique. Exemple : «L'appellation brod (bateau) découle du verbe vieux-slave bresti-bredo, qui signifie fouler aux pieds, traverser à gué. » Mais : « L'origine et l'appartenance des noms et formes de bateaux ne se laissent pas découvrir aisément. Les racines du mot barka (barque), qu'adoptèrent presque tous les peuples, demeurent inconnues… La racine du mot latin navis se retrouve en sanskrit, en grec, dans les langues celtiques, et jusque dans les dialectes arméniens… » (page 183). Ces déluges de références produisent un effet quasiment onirique, comme une façon d'ouvrir une porte secrète pour accéder à un monde merveilleux où les fées sont cachées dans les catalogues des bibliothèques. Jorge Luis Borges n'est pas très loin...

 

• Predrag MATVEJEVITCH : Bréviaire méditerranéen. Traduit du croate par Évaine Le Calvé-Ivicevic. - Fayard, 1992, 259 pages. (Réédition en Petite Bibliothèque Payot, 1995).

 

Tag(s) : #MEDITERRANEE, #LITTERATURE EUROPE, #HISTOIRE GENERALE
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