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Rêves d'hiver au petit matin

Près de cinquante écrivains de tous pays livrent ici leur perception des printemps arabes à travers des formes littéraires très diverses : autobiographie, poème, essai… Quatre dessinateurs les accompagnent, entre ironie et parodie. Tous filent la métaphore des saisons : si l'hiver porte en germe le printemps, cette fleur éphémère souvent se fane avant l'été : le dessin de Selman Arts (ci-contre), en dernière page du recueil, en donne la tonalité dominante. L'immolation de Bouazizi, ce jeune tunisien, en décembre 2010 a fait jaillir une onde fulgurante de rêve et d'espérance. Néanmoins, en 2012, l'amertume et le désenchantement marquent la plupart des textes. Les jeunes révolutionnaires ont certes mis à bas les dictateurs, mais leur mouvement n'a échappé ni à la récupération par les puissances occidentales ni à la confiscation islamiste. Toutefois certains auteurs persistent à croire qu'avec le temps s'épanouira enfin l'été de la liberté.

Beaucoup rendent hommage au courage des jeunes révoltés, à leur volonté déterminée de "vivre libres et dignes": grâce à eux "des hommes et des femmes n'ont plus eu peur"; ils ont prouvé que le "malheur arabe n'est pas une fatalité". Pendant l'hiver, les dictateurs furent "vautours, chacals", "charognes" corrompues se repaissant de la sueur et du sang des peuples; leur mépris et leur arrogance –la "hogra"– n'étaient pas sans rappeler celles des colons. Les voici abattus mais "toutes les révolutions ne font pas le printemps" et beaucoup ont échoué, en Haïti, au Togo ou ailleurs. Or les médias occidentaux ont mis en scène les printemps arabes, "la force et la clarté des mots de la rue se sont ternies sous le prisme déformant des spécialistes et autres observateurs internationaux"; "les médias et les politiques sont maîtres de cette fiction-là". On comprend que bien des auteurs redoutent un prochain "automne arabe" car "les révoltes ouvrent une brèche dans laquelle s'engouffrent, non ceux qui méritent le pouvoir, mais ceux qui le désirent": l'Occident par intérêt économique et les islamistes ; "la vraie révolution se mènera contre l'islamisme ou ne sera pas ".

Ces fleurs risquent de faner d'autant plus vite que les jeunes révolutionnaires très idéalistes n'ont aucun projet pragmatique à long terme pour réduire le chômage et endiguer la précarité : c'est "une révolution de pacotille". Le sang coulera encore "le pire n'est pas derrière, le meilleur n'est pas à venir". Pourtant il faut y croire : "le printemps social ne s'installe pas brusquement (…) c'est lentement et individuellement que les manifestants devront chercher chacun son chemin vers la liberté individuelle".

Les jeunes révoltés ont changé le sens de l'histoire, les "rêves d'hiver" ont bien éclos. Même si les premières corolles flétrissent il faut faire confiance au "temps de l'histoire qui ne sera jamais celui des journaux télévisés", et chanter "j'espère que la liberté profonde d'être sera au rendez-vous des temps qui viennent"….

Rêves d'hiver au petit matin. Les printemps arabes vus par 50 écrivains et dessinateurs. Textes inédits et dessins recueillis par Bernard Magnier. - Elyzad, Tunis, 2013.

Tag(s) : #MONDE ARABE
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