Le sous-titre est explicite : le IIIe Reich, les Arabes et la Palestine. Parce qu'ils partageaient la haine des Juifs et des Britanniques, des Arabes ont approuvé les préparatifs des Nazis pour réaliser la Shoah en Palestine, n'hésitant pas à collaborer à l'action criminelle des partisans d'Hitler. C'est peu dire que ce sujet n'est pas très présent dans l'historiographie française. Raison de plus pour se précipiter sur l'ouvrage riche et passionnant de deux spécialistes allemands du génocide et des SS.
• Au sortir de la Première guerre mondiale, la Palestine devint mandat britannique tandis que la déclaration Balfour y officialisa la création d'un Foyer national juif ou Yichouv. Peu à peu les effectifs juifs augmentèrent par une immigration (alya) qui s'ajouta aux anciennes populations sépharades. « Du fait que les Arabes se percevaient comme les doubles victimes du colonialisme et du sionisme, ils se placèrent dans une perspective d'auto-victimisation qui est toujours en vigueur aujourd'hui » notent les auteurs. Le conflit commença à dégénérer et les agressions contre les immigrés juifs se multiplièrent dès la fin des années 1920. Amin al Husseini que les Britanniques avaient paradoxalement installé comme mufti de Jérusalem provoqua une islamisation du conflit en même temps qu'un virage antisémite fondé sur les "Protocoles des Sages de Sion". Des Palestiniens tinrent alors pour "martyr" un imam apprenti terroriste abattu par les Anglais en 1935 : Al-Qassam. Son nom est toujours utilisé.
• Timorés ou dépassés par la violence arabe, les Britanniques furent incapables de maintenir la paix entre communautés alors qu'Hitler devenu maître de l'Allemagne développait une propagande antijuive applaudie par l'opinion arabe : certains virent en Hitler une sorte de prophète voire le douzième imam. Le nationalisme arabe grandit et se structura. L'organisation des Frères musulmans, fondée en 1928 par Hassan al-Banna, –un ami du mufti al Husseini– revendiqua 200 000 adhérents en 1938. Ce n'est que la plus connue des mouvements nationalistes et anti-occidentaux qui existaient alors. L'antisémitisme submergea le monde arabe et l'Iran, favorisé par la propagande nazie et soutenu par des livraisons d'armes. En 1937 Baldur von Schirach visite l'Irak et compara le réveil racial de l'Allemagne à la renaissance arabe tandis que les agressions contre les Juifs de Palestine se multipliaient. La minorité allemande de Palestine relaya aussi l'influence de Berlin et des diplomates, comme Fritz Grobba représentant du Reich à Bagdad, furent d'efficaces relais officiels. L'amiral Canaris rencontra le mufti à Bagdad en 1938. La propagande se fit aussi vers le monde arabe par Radio Bari puisque l'Italie de Mussolini n'avait pas renoncé à rayonner sur l'espace méditerranéen.
• L'intervention militaire italienne en Cyrénaïque fut lancée en 1940 et bientôt renforcée par l'armée allemande –en même temps que l'Opération Barbarossa signifiait la Shoah par balle en URSS. Les nazis, qui venaient de conquérir la Grèce, furent amenés à soutenir la tentative de gouvernement d'Al-Gailani à Bagdad ; malgré l'utilisation des aérodromes de Syrie extorquée à Vichy ils subirent un échec suivi du pogrom contre les Juifs de Bagdad (1er juin 1941). Al Husseini, qui fut reçu à Berlin par Hitler (28 novembre 1941) ainsi que par Himmler, s'installa en Allemagne s'efforçant d'obtenir le soutien de l'Allemagne pour l'indépendance des pays arabes. L'armée de Rommel avançait vers le canal de Suez ; d'abord repoussé l'Afrikakorps s'empara de Tobrouk et le 28 juin 1942 de Marsa Matrouh, le dernier port avant Alexandrie. L'enthousiasme arabe pour les nazis fut à son comble : la destruction de la Palestine juive semblait imminente. L'oléoduc irakien reliant Haïfa fut saboté. Des milliers de soldats arabes désertèrent de l'armée britannique. Des Juifs quittèrent l'Egypte en catastrophe et en Palestine ce fut l'état d'alerte.
• À ce stade du récit, les auteurs reprennent l'historique des mesures prises par la minorité juive de Palestine pour tenter de faire face aux agressions. Ils remontent à la fondation par l'écrivain Vladimir Jabotinsky de la Haganah suite au pogrom de 1920 à Jérusalem puis de l'Irgoun en 1937. « L'attitude de l'Empire était caractérisée par la crainte de fâcher les Arabes par une politique favorable aux Juifs » en conséquence « les Britanniques essayèrent de fermer le pays à l'immigration juive » quitte à déporter les clandestins à l'île Maurice (1940) ! Mais la pression allemande fit bientôt réagir les Britanniques : « Entre 1940 et 1942, des bombardiers allemands et italiens firent de nombreuses attaques, notamment sur les villes de Haïfa et Tel-Aviv ». Pour défendre leur possession les Britanniques durent recruter sur place, essentiellement des Juifs. En 1942, les Britanniques s'attendaient à une attaque allemande venant du Caucase alors que Rommel menaçait Alexandrie et le canal de Suez. Le Yichouv pourrait être pris en tenaille par des forces terrestres en plus de l'utilisation de la Crète et de Rhodes par l'aviation de l'Axe. Mais deux coups de théâtre simultanés vont sauver le Yichouv : la défaite inattendue de Rommel à El Alamein en septembre 1942, suivie de sa retraite jusqu'en Tunisie, et la retraite des Allemands du Caucase suite à la bataille de Stalingrad.
• Les deux historiens analysent la composition des groupes militaires allemands sur qui devait reposer l'action contre les Juifs du monde arabe. À l'été 1942, un Einsatzkommando SS fut formé pour accompagner l'Afrikakorps sous les ordres de l'Obersturmbannführer Walther Rauff. « Les autres membres dirigeants du commando étaient issus de secteurs très variés du RSHA ». Ils comptaient sur des collaborateurs locaux pour mener à bien les opérations d'extermination, comme en URSS. Le repli de Rommel en Tunisie leur permit d'y entreprendre certaines actions contre les Juifs (Références à l'ouvrage de Michel Abitbol : « les Juifs d'Afrique du Nord sous Vichy ») sous le regard inquiet de l'allié italien. Le commando de Rauff échappa à la capture des 250 000 soldats de l'Axe en Tunisie en mai 1943 et Rauff finira ses jours au Chili.
• En Yougoslavie aussi, la collaboration se fit avec des populations musulmanes. Himmler ordonna en 1943 et encore en mai 1944 la mise en place d'une division de Waffen-SS de musulmans européens. Le mufti Al Husseini, toujours très actif, rencontra d'ailleurs les volontaires bosniaques de la Waffen-SS. Pourquoi une lutte commune du nazisme et de l'islam ? Selon un de leurs instructeurs : « Ils ont les mêmes ennemis : le bolchevisme, le judaïsme, les Anglo-saxons, les francs-maçons et le catholicisme ». D'après les archives consultées par les auteurs, « Toutes les formations musulmanes de SS commirent lors de leurs interventions de nombreux crimes de guerre ». On en fit même rapport à Hitler : « On s'en fiche ! » répondit le Führer à l'envoyé de Himmler (avril 1944).
• En épilogue, les deux historiens s'interrogent sur la persistance de l'antisémitisme du monde arabe après 1945/1948, notent l'inexistence de travaux scientifiques sur ce sujet en terre d'Islam, et dénoncent certaines complaisances venant de leurs collègues européens. Et de conclure : « Quand la science n'est plus en mesure de faire la distinction entre la volonté tout à fait justifiée d'obtenir l'indépendance nationale et le recours à des idéologies chargées de ressentiment, telles que l'impérialisme, l'antisionisme ou l'antisémitisme, elle risque aussi de ne plus savoir faire la différence entre une pensée éclairée et le cheminement dans la barbarie ». On souhaite que le lecteur aussi sache faire cette distinction.
• Martin Cüppers / Klaus-Michael Mallmann : Croissant fertile et croix gammée. Le IIIe Reich, les Arabes et la Palestine. - Traduit par Barbara Fontaine. Verdier, 2009, 343 pages.
NB. L'ouvrage ne traite pas du refuge trouvé dans le monde arabe par des nazis après 1945.