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L'Anna C. desservait la ligne de Gênes au Brésil avec escale à Madère. On croisait le fantôme du Che qui y avait travaillé vingt ans plus tôt pour payer ses études. L'anecdote permet de boucler la boucle... Les aventuriers rentrent au bercail.

 

Laura Alcoba fait revivre cette époque où la jeunesse était fascinée par l'image du Che, cet Ernesto Guevara qui avait quitté l'Argentine pour devenir la figure la plus populaire du Cuba castriste. C'était une époque où l'idéal révolutionnaire amenait des jeunes gens à prendre les armes contre l'empire yankee : « la Bête dont parle saint Jean dans l'Apocalypse...» Certains de ces jeunes gens, « les Cinq de La Plata » et « les Triplés », sont argentins comme le Che. Rêvant de le rejoindre, ils quittent clandestinement leur pays à destination de l'île crocodile pour s'y entraîner en vue d'une opération de subversion quelque part dans ce qu'on appelait alors le tiers monde. Ils sont prêts à donner leur vie pour la Révolution.

Mais il y a beaucoup à faire avant d'en arriver là et grande est la surprise des instructeurs cubains : « Ce qu'ils croyaient être une cellule révolutionnaire venue en renfort depuis l'extrême sud, « les Cinq de La Plata« tels qu'El Loco les avait baptisés, n'était qu'une bande de morveux, un club d'adolescents mal dégrossis en mal de sensations fortes – voilà ce que Juan Carlos pensait. Un boulet pour la Révolution.» Effectivement, l'entraînement est dur, mais efficace : il forme de vrais guérilleros. Plusieurs d'entre eux tomberont sous les balles de la dictature argentine dans les années soixante-dix. Leurs noms figurent sur les « stèles » à la fin du livre.

Parmi ces jeunes gens, les aventures cubaines de Soledad et de son petit ami Manuel forment le fil conducteur car ce sont les parents de l'auteure née justement à La Havane en 1968. Devenue professeur de littérature hispanique à Nanterre, elle reconstitue leur passé d'apprentis guérilleros grâce à leurs souvenirs et à celui d'autres survivants de l'expédition, « Antonio » et « El Loco ». Mêmes si ces témoignages n'apparaissent pas directement dans le texte qui évite la piste documentaire pour emprunter la voie romanesque, le lecteur est plongé dans le vrai Cuba des années soixante, celui où chaque 2 janvier le public enthousiaste converge pour écouter Fidel Castro débiter des statistiques agricoles et commerciales. Mais le 2 janvier 1968, le chef des barbudos dédie son discours au Che qui vient de trouver la mort en Bolivie. Dès lors les aventuriers argentins n'ont plus d'emploi certain dans la cause cubaine.

Idéologie ou pas, « les Passagers de l'Anna C. » expose une belle galerie de portraits: l'instructeur mutique El Práctico suivi de son chien Guajiro, le petit chef El Loco à qui un autre chien, Hirohito, tient compagnie, ou bien encore celui qu'une explosion accidentelle avait rebaptisé El Pelado. Les chaudes soirées de La Havane ne sont bien sûr pas oubliées mais sans l'excès d'une histoire tropicale à la Zoe Valdès... Machisme ou pas, Soledad et les autres compagnes des stagiaires de la Révolution ne sont pas agrégées aux stages commando ; il faut seulement les occuper – par exemple à fabriquer des paniers en vannerie ! Le chef demande simplement des hommes capables de poursuivre le combat… « Ce qui est pour le moins inhabituel chez les Cubains, qui portent toujours un regard admiratif, déférent même, sur les seins et les fesses qui se trouvent là. Cet homme était différent. Il était venu pour autre chose. Pour les femmes, il n'avait pas le temps. Elles étaient hors sujet.»

On compte pourtant sur elles pour apprécier ce roman assez à part dans l'horizon littéraire actuel ! 

 

Laura ALCOBA : Les passagers de l'Anna C. - Gallimard, 2012, 220 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #CUBA
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