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Le titre est celui d'un chapitre où l'on voit le jeune Ringo, le personnage principal, écrire maladroitement quelques lignes... Barcelone, souvent présente chez Juan Marsé, l'est beaucoup dans ce roman dont plusieurs aspects relèvent de l'autobiographie. Comme l'auteur, Ringo est né en 1933, comme lui c'est un enfant adopté, comme lui l'auteur a travaillé comme apprenti joaillier, comme lui il a vécu dans les quartiers pauvres de la capitale catalane.

L'action se passe principalement en 1948 dans le quartier de Gràcia, où le jeune Domingo, alias Ringo, espère devenir pianiste tout en rêvant seul ou avec des copains d'aventures du genre western où les Indiens ont kidnappé Violeta et qu'ils vont la délivrer... Chez sa grand-mère, Ringo a découvert, en écoutant les voisines, que ses parents l'ont peut-être adopté. Il cherche aussi à en savoir plus sur la vraie vie de son père, le Raticide, un homme au passé de républicain antifranquiste dont il lui reste entre autres une activité de contrebandier à la frontière des Pyrénées, et ainsi surnommé en raison de son emploi dans le service local de dératisation. Il éliminait les rats bleus dans les cinémas, disait-il à son fils quand il avait 8 ans. Mais le fil conducteur de l'intrigue est la vie sentimentale de la mère de Violeta : Victoria Mir, surnommée Vicky, —un nom qui renvoie à un ailleurs où on ne connaît pas les cartes de ravitaillement. Vicky a reçu chez elle un énigmatique boiteux, Abel Alonso, ancien footballeur, qui entraîne peut-être des jeunes d'un quartier. Mais lequel ? Après une dispute, Vicky a giflé Abel. Celui-ci est parti sans laisser d'adresse, promettant vaguement une lettre d'explication. Vicky tente de se suicider (dès l'incipit) et verse dans l'alcoolisme, fréquentant trop souvent le bar de Paquita, de l'autre côté de sa rue pour un prendre un cognac et puis un autre.

Ringo, blessé à un index – « le doigt du destin » – en travaillant avec une machine lors d'un stage de bijouterie, fréquente lui aussi ce café de la Travesera de Gracia, où il écrit. Encore gamin, il a fréquenté gratuitement bien des cinémas, ceux où son père le Raticide l'a présenté au personnel. Ringo n'a jamais vu de rats bleus, or, en fait de "rat bleu" il y en a un, c'est le phalangiste mari officiel de Victoria, rescapé du Front de l'Est. Portant son uniforme de la Division Azul, il se postait à la sortie de la grand-messe et faisait mine de se suicider en criant « Vive le Christ Roi !» Mais un jour Ramon Mir appuya sur la détente, se retrouva aux urgences et devint un invalide...

On ne racontera pas ce qu'il advint de la lettre et de l'enveloppe rose qu'Abel Alonso destinait à Vicky — à moins que ce ne soit à Violeta. Au bal du dimanche, celle-ci qui a alors dix-huit ans, se confie à Ringo, à peine plus jeune qu'elle : Abel n'aurait-il pas abusé d'elle ? Cela expliquerait ses refus opposés aux danseurs tandis que sa mère traîne au bar.

Dans ce roman remarquable par le petit nombre de personnages, l'intérêt est dans un dévoilement progressif des vérités des uns et des autres. Leurs espoirs, leurs rêves ne se réaliseront sans doute pas, beaucoup pensent à émigrer, pour échapper « au trou du cul du monde en 1945 ». Marsé est un maître de la composition et bien des mystères attendent que le lecteur les découvre.

 

• Juan Marsé : Calligraphie des Rêves. Traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu. - Bourgois, 2012, 412 pages.

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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