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Si l'histoire du vin est un sujet passionnant qui emmène d'une époque à une autre en sautant par-dessus les terroirs, il conviendrait de ne pas oublier comment la bouteille est sortie victorieuse de la compétition avec les pots, amphores et autres gourdes. Connu –entre autres– pour avoir décrit la rivalité entre Bordeaux et Bourgogne, l'auteur explique que le vin connaissait une existence difficile avant que la bouteille ne lui permette de vieillir et de s'aventurer hors de son terroir d'origine.

Avant l'âge de la bouteille, le vin était conditionné en amphore, objet qui apparaît en Étrurie au VIe siècle av. J.-C. Il se stockait aussi en jarres et en tonneaux dont Lugdunum (Lyon) semble avoir été le grand centre de production au début de l'Empire romain. Les musées nous montrent quelques bouteilles d'époque romaine ou médiévale. Passé 1200, les Vénitiens produisent à Murano des verres et des carafes de luxe richement ornées...

 

S'il faut une date dans cette révolution de la bouteille, ce pourrait au début du XVIIe siècle quand on reproche aux verriers anglais de gaspiller les maigres ressources en bois du royaume. Une fois qu'en 1623 Robert Mansell s'est fait octroyer le monopole de la production de verre dans les fours chauffés au charbon de la région de Newcastle, on put songer à en faire des bouteilles plus résistantes que celles provenant de fours au bois. En 1642, Digby fabriqua ses premières bouteilles en verre épais et sombre, avec une base ''piquée'' pour leur donner une assise stable, un goulot renforcée pour accueillir un bouchon de liège. Vers 1730 toutes les demeures de notables bordelais possédaient leur tire-bouchon, un nom datant de 1718.

Passé 1700, l'élaboration du vin mousseux de Champagne entraîne l'établissement en Argonne de verreries capables de produire des flacons d'une contenance approximative de la pinte de Paris (0,93 l). Jean-François de Troy peint pour Louis XV un ''Déjeuner d'huîtres'' (1735) arrosé d'un vin mousseux que Voltaire chante sous le nom de « vin d'Aï » dans ''Le Mondain'' (1736). Le producteur qui met le champagne en bouteille se plaint de l'irrégularité des contenances, de la fragilité des cols, de la proportion élevée de casse, citations de M. Moët et de madame Clicquot à l'appui. Mais le modèle champenois ne s'est pas généralisé.

Le commerce anglais aidant, les négociants des Chartrons commencèrent à mettre le vin de Bordeaux dans les bouteilles du verrier Mitchell au lieu de tout exporter en vrac, c'est-à-dire en fûts, comme Montesquieu. La barrique bordelaise de 225 litres permet de remplir 300 bouteilles « bordelaises » de 75 cl — de là vient la détermination de la contenance de la bouteille la plus répandue— correspondant aussi à une mesure anglaise. La forme cylindrique de cette bouteille facilite l'expédition en caisses, ainsi que le stockage en caves qui se répand chez les riches consommateurs du XVIIIe siècle, tel Turgot. Il faut attendre le XXe siècle pour que la mise en bouteille se fasse au château ; déjà la « bordelaise » était partie à la conquête du monde : adoptée par les toscans Antinori au temps du Risorgimento pour le chianti de luxe, laissant le chianti de base amuser le bon peuple dans sa fiasque décorée de feuilles de maïs ; plus tard traversant les mers à la rencontre des vins plus lointains : Californie, Argentine, Australie, etc.

L'auteur étudie la persistance de modèles régionaux, propres à tel ou tel terroir ou cru. Si la bouteille bourguignonne est une évolution de la champenoise et se répand dans la vallée du Rhône, la vallée du Rhin a donné les flûtes, que les vins d'Alsace ont été les premiers en France à utiliser (une exception reconnue par la législation royale de 1735). La forme en gourde se retrouve dans diverses régions productrices : Franconie, Madère, Armagnac, Minho...

L'autre grand tournant de l'histoire de la bouteille est l'industrialisation de sa fabrication. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le verre est une catastrophe pour la santé des ouvriers verriers : les planches de l'Encyclopédie de D'Alembert et Diderot (pages 130-136) illustrent parfaitement le sujet. Après le ''cueillage'' de la ''paraison'' –la boule de verre en fusion– le soufflage éprouve la santé de l'ouvrier verrier, exposé à l'air brûlant. Des grèves éclatent (Cognac 1891, Carmaux 1895). Des inventeurs trouvent petit à petit le moyen de réduire les risques tout en augmentant les volumes produits. Parmi eux, Claude Boucher met au point entre 1894 et 1898 une machine à fabriquer les bouteilles pour sa verrerie de Cognac : le flacon est entièrement moulé et l'air comprimé a remplacé celui des poumons du souffleur. Le procédé se répand. La productivité triomphe. On produit environ 30 milliards de bouteilles de vin par an dans le monde aujourd'hui.

L'intérêt de cet essai historique comprenant des notes abondantes et une solide bibliographie est soutenu par un superbe cahier central de 32 pages d'illustrations en couleurs : photographies de bouteilles de diverses époques, reproductions de tableaux et d'affiches publicitaires. Par ailleurs signalons une planche sur le fiasco de chianti (p.186) et la carte des formes de bouteilles de vins dans l'Europe actuelle (p.228). Un essai à consommer sans modération et qui n'oublie pas les chansons à boire.

 

• Jean-Robert Pitte : La Bouteille de Vin. Histoire d'une révolution. Tallandier, 2013, 310 pages.

 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE
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