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Ces 21 petits textes sont d'abord des portraits d'où le titre du livre. Certains comme "La faux" ou "Vacances d'été dans le sud" ont figuré dans d'autres recueils.
Plusieurs textes, peut-être les plus intéressants, montrent des paysans bosniaques attachés à leur terroir austère, écrasés de misère, luttant contre les éléments, l'été torride et l'hiver rude. Dans "Où l'on parle de sel" il faut ajouter l'obstination des villageois chrétiens ; ils ont choisi de rester à l'écart de la ville désormais aux mains des Turcs. Le sel est indispensable à la vie. Sans sel tous vont dépérir. Pourtant personne ne descend dans la vallée. « Tous rêvent de sel... Et cela les rend fous ».
Quelques-unes de ces histoires se partagent un même personnage : Vitomir, un paysan assez âgé du village de Dikavé. Dans "La Faux", il est allé en ville vendre sa production, et acheter une faux. Le boutiquier lui en présente deux modèles. Laquelle acheter ? Après avoir tergiversé, le paysan analphabète se décide quand même. Mais sur le chemin du retour il se demande s'il ne s'est pas trompé. L'hésitation est aussi au cœur d'autres récits : Georges a hésité toute sa vie au point de se la gâcher ; de décevoir, enfant, sa petite voisine, et plus tard sa fiancée. L'hésitation est aussi celle du jeune Mikane, dans "À la ferme d'Etat", tombé sous la coupe du vieux et stupide Era.
En dehors du monde rural, à signaler la figure classique du fonctionnaire étriqué : plus que le juge apeuré sous les bombardements en 1944, on retiendra « Aloïs Michitch-Ban, petit fonctionnaire à la troisième section du Gouvernement provincial » de Sarajevo. Après dîner, il imagine que ses supérieurs et les notables sont venus à sa fête : « Le plumitif empoigne son verre, qui semble se remplir tout seul. Il le vide avec précipitation et le vin, comme un éclair, l'illumine bientôt de l'intérieur. Dans cette lumière s'ouvrent des visions nouvelles... » Et en rêve il se moque d'eux tous, inconscient de sa grise médiocrité. C'est "Célébration".
Malgré une présentation dithyrambique en 4ème de couverture, ces textes ne me laissent pas une impression très joyeuse : plus d'ennui que de plaisir. Comme l'écriture est soignée cela retiendra peut-être l'intérêt des lecteurs qui ont déjà pu apprécier l'écrivain nobélisé des Balkans.
• Ivo Andrić : "Visages". Nouvelles traduites du serbo-croate par Ljiljana Huber-Fuzellier et Raymond Fuzellier. Phébus, 2006, 186 pages.