Le film de Margarethe von Trotta relève un véritable défi : comment faire en sorte que le cinéphile d'aujourd'hui s'intéresse à Hannah Arendt. Plutôt qu'une biographie filmée —les cuistres disent une "biopic"— la réalisactrice allemande a centré son travail sur la réaction de la philosophe au procès d'Eichmann à Jérusalem.
Hannah Arendt est d'abord représentative du milieu intellectuel universitaire new-yorkais au début des années 60. Comme elle, plusieurs personnages sont des réfugiés qui ont échappé au nazisme. Outre son compagnon, on retrouve Hans Jonas. Entre eux, la langue allemande forme un lieu, une patrie. Ce milieu est dépeint au moment où Eichmann vient d'être capturé et doit être jugé en Israël. Pour certains ce n'est pas normal car l'Etat d'Israël n'existait pas encore dans les années du génocide. Mais les procès de Nuremberg appartiennent au passé et il n'y a pas encore de TPI à La Haye. Alors...
Alors Hannah Arendt part suivre le procès pour le "New Yorker" au risque que ses articles fassent scandale. Qu'une juive cherche à comprendre Eichmann, n'est-ce pas aller trop loin ? C'est pourtant bien ce que Hannah Arendt entend faire : comprendre ce personnage de bureaucrate qui ne se défend qu'en mettant en avant son obéissance aux ordres donnés. Bref, ni un monstre ni un imbécile, mais tout simplement... un médiocre. Comme il y en a tant. De là viendra la formule célèbre : « la banalité du mal ». Une formule qui a choqué, comme aussi le ton ironique que l'ancienne élève de Martin Heidegger aime à utiliser. De retour en Amérique, elle tarde à livrer ses articles au magazine —cela donne lieu à quelques scènes humoristiques— et puis le scandale s'amplifie dès leur publication. Le jugement de ses collègues la condamne ; même Hans Jonas part en claquant la porte.
Avec le recul du temps, il n'est pas sûr que les critiques soient moindres. Le film les a fait revivre. Une toute récente émission de "La Fabrique de l'Histoire" (Hannah Arendt et le procès Eichmann diffusée le 7 mai 2013) permet d'approfondir la réflexion sur ce film méritoire. Un film à voir attentivement.
• "Hannah Arendt", film de Margarethe von Trotta, sorti en France le 24 avril 2013, durée 1h 53, avec Barbara Sukowa dans le rôle-titre.