Alors que l'actualité de la guerre civile en Syrie nous sature d'images de combats, de cadavres, de ruines et que l'on s'interroge sur l'effet que ce flot d'images violentes peut avoir pour faire pencher l'opinion internationale en faveur d'un camp ou de l'autre, il reste couramment admis que les photographes de guerre sont des héros positifs. Or, voici un roman qui met en question cette opinion courante.
Photographe de guerre —comme l'auteur—, Faulques l'a été longtemps. Il a couvert de nombreux conflits à travers le monde et particulièrement ceux de l'ex-Yougoslavie. Cette guerre-ci est déterminante dans l'intrigue du roman. Faulques avait photographié des soldats croates s'échappant des massacres de Vukovar. Un de ces clichés lui a valu la célébrité. Pour l'homme qui y figurait ce fut l'origine du drame : reconnu comme soldat croate, il fut fait prisonnier et torturé par les tchetniks serbes qui violèrent sa femme et massacrèrent son fils. Cet homme, Ivo Markovic, est venu lui demander des comptes et menacer de le tuer. D'où à la fois une question de fond et un suspense.
Malgré sa réussite comme reporter photo, Faulques s'est reconverti dans la peinture. Ayant fait l'acquisition d'une vieille tour de guet en bord de Méditerranée, il a entrepris d'y peindre une fresque circulaire qui serait comme la synthèse de ses expériences de photographe et de témoin des violences guerrières : « Le Mal échappant au contrôle de la raison…» selon Carmen, guide touristique invitée par le peintre à visiter l'intérieur de cette tour dont par profession elle ne montre que l'extérieur.
Faulques ne fait plus de photos depuis que sa compagne, Olvido, a péri à ses côtés en sautant sur une mine en Bosnie. Ayant été elle même longtemps photographiée comme mannequin, elle savait que la photographie des êtres humains peut être mensongère, truquée. Elle s'intéressait donc aux ruines, aux choses, plutôt qu'aux acteurs et aux victimes des conflits. Elle a voulu faire un cliché d'un carnet ouvert près d'un soldat victime d'un bombardement. Le cliché de trop ! Or Markovic —qui est arrivé juste après sur les lieux— se souvient d'avoir vu Faulques se pencher sur le corps de cette femme, tuée sous ses yeux, pour la photographier. Et il s'étonne de n'avoir pu trouver trace de ce cliché nulle part dans les œuvres publiées de Faulques — albums qu'il a pourtant étudiés attentivement.
Jour après jour, les deux hommes confrontent leurs opinions sur la peinture et la photographie. Surtout sur les images de guerre. Poussé par Markovic et des verres de cognac, le peintre de batailles est amené à considérer quelle responsabilité il a pu avoir dans les tragédies qu'il photographiait. A-t-il poussé des snipers à tirer sur des passants rien que pour faire de beaux clichés d'un homme en pleine action ? A-t-il fait tuer trois jeunes Palestiniens en les poussant à attaquer un char israélien ? Est-il responsable de la mort d'Olvido ?
Roman philosophique, ''Le peintre de batailles'' est aussi un ouvrage cultivé sur l'histoire de l'art occidental — avec plusieurs références à ''la bataille de San Romano'' de Paolo Uccello. Le roman évoque aussi les fresquistes mexicains car Faulques a rencontré Olvido, fille de galeriste, dans un musée de Mexico devant un tableau —''Éruption du Paricutin''— du docteur Atl dont Nahui Ollin fut l'égérie. Ce volcan, métaphore du mal se déversant sur le monde, est bien sûr repris par Faulques dans sa fresque circulaire... Cet étonnant roman vous emmènera loin des Aventures du capitaine Alatriste — romans de cape et d'épée dans le sillage des romans de Dumas !
• Arturo PEREZ-REVERTE. Le peintre de batailles. Traduit par François Maspero. Editions du Seuil, 2007, 282 pages.
=> Un forum espagnol consacré à Pérez-Reverte a repris toutes ces références picturales ainsi que photographiques.