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On aurait tort de ne voir en ce roman qu'une énième évocation de la violence des Wilfried-N-Sonde.jpegcités franciliennes. Si Wilfried N'Sondé décrit le béton résigné des barres, la précarité, les tensions et l'avenir obscurci, c'est en y immergeant le lecteur, en lui faisant vivre au présent le quotidien des habitants. Son écriture sans pathos ni fioritures reste au plus près de son sujet: réaliste quand explosent les vitupérations adolescentes, frénétique quand monte l'adrénaline, poétique quand surgissent leurs rêves. Son empathie bienveillante retient tout jugement. Jeunes comme vieux couvent la même rage, nourrie de frustrations et de ressentiment, en partie compensée par rêves et fantasmes; reste qu'à dix-huit ans on peut encore espérer "faire bouger les lignes".

Le samedi soir, au Black Move, discothèque improvisée dans la cave de la tour C, "la jeunesse se défoule, se libère, s'abandonne" : hip-hop, reggae, zouk, "les pouls s'accélèrent, l'adrénaline s'affole". Mais L. Marchand, ancien caporal de l'armée coloniale, raciste et aigri, finit par se plaindre du tapage : la police ferme le Black Move, Jason lance une bouteille de bière au visage du sexagénaire qui réplique au fusil de chasse. C'est l'émeute. Quelques semaines suffisent pour arrêter les meneurs dont le destin bascule…

Autour de cette intrigue tragiquement banale, N'Sondé brosse des portraits attachants. On croise ainsi Jason Lafleur, dix-huit ans, le séduisant danseur black dont Rosa est éperdument amoureuse, et Mouloud Zayed, vingt-cinq ans, traumatisé neurologique depuis son service militaire en Afrique du Nord. On croise surtout l'absent, Antonio Milano, le frère aîné de Rosa, assassiné sur le parking du supermarché suite à une "embrouille" avec des dealers parisiens : il était la référence des jeunes ,"l'Homme Valable", l'adolescent rebelle qui voulait changer la vie de la cité et avait crée le Black Move.

Ce frère modèle manque à Rosa qui, comme lui, s'enfuira de la cité. Gamine maladroite, lycéenne insolente en situation d'échec, "la réalité des jours l'oppresse" et elle s'est crée "un trou de lumière", un refuge intérieur aux couleurs de la Sicile et des vacances familiales avant le chômage du père. Elle y retrouve Jason, s'imagine se donner à lui… Mais la réalité brise le rêve et fane cette "Fleur de béton" naïve et décalée. On croise aussi Sonia la sœur aînée caissière au supermarché, sa maman Angélina pressant le pas vers ses heures de ménage, au milieu de jeunes "mères courage" halant des poussettes de mômes ensommeillés... Filles et femmes se battent contre cette existence grise, chacune à sa manière, même si , comme Margarine, "la blonde aux gros seins", la prostituée locale, il faut hypnotiser jeunes et vieux pour subsister. Les garçons crachent, invectivent; les pères se taisent, frappent, entre tabac et café, solitude et rancœur. On croise enfin le capitaine Moussa Traoré, jeune black musulman sans expérience, incapable de maîtriser le début de l'émeute.

La bonne volonté, la tendresse, la conscience morale habitent tous les personnages : Jason regrette le jet de la canette de bière, Salvatore ne peut survivre à ses mauvaises pensées, Moussa, en empathie avec Mouloud, présumé coupable, dénonce la violence légale qu'il doit mettre en oeuvre. Mais sous le poids d'un passé stigmatisant, d'un présent humilié, d'un avenir interdit, leur part d'ombre les précipite au delà d'eux-mêmes. Reste le rêve, les plages de Bora Bora sur l'affiche sous l'abribus… Tous s'y brûlent de le vouloir réaliser.

• Wilfried N'Sondé sait qu'à tout moment tout peut exploser ; mais au plus fort de l'escalade de la violence, chacun de ses acteurs, tout à la fois victime, coupable et responsable, reste un être humain : un beau cri du cœur de la cité.

Wilfried N'SONDÉ. Fleur de béton. Actes Sud, mai 2012, 211 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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