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sebald-austerlitz.jpgAttention chef d'œuvre ! La plus longue œuvre de Sebald et la plus proche du genre romanesque.

L'énigmatique W.G. Sebald utilise ici un narrateur fort discret, essentiellement porte-paroles du personnage qui est à la base du récit. Il en résulte qu'« Austerlitz » est une biographie originale, ou plutôt une autobiographie, quasiment dictée par Jacques Austerlitz au narrateur sébaldien au cours de plusieurs sessions, à Anvers, à Londres, puis à Paris. Après quoi : « Il me tendit les clés de sa maison de l'Alderney Street : je pouvais y prendre mes quartiers quand je voulais, dit-il, et étudier les photos en noir et blanc qui seraient les seules traces témoignant de son existence.» Le narrateur sébaldien est à l'écoute d'Austerlitz qu'il n'a pas besoin d'interroger sur sa vie : celui-ci reprend son monologue dès qu'il retrouve l'oreille de Sebald. Souvent l'écriture fait penser, sans doute est-ce voulu, aux propos rapportés chez Thomas Bernhardt, grand modèle de notre auteur. Exemple : « Ne peux-tu pas me dire, dit-elle, dit Austerlitz, ce qui te rend à ce point inaccessible ?» Tous ces "dit Austerlitz" peuvent être jugés franchement pesants... 

À l'originalité de l'écriture s'oppose l'apparente banalité du sujet : la mémoire, la recherche de l'identité, la shoah. À y regarder de près, la vie en Grande-Bretagne de Jacques Austerlitz qui y a enseigné l'histoire de l'architecture, a été selon lui « une fausse vie ». Confié à un peu sympathique pasteur gallois à l'âge de quatre ans et demi, le jeune homme qui entre à l'université sous le nom de Dafydd Elias apprend avant un examen que son véritable patronyme est Austerlitz, comme la bataille qu'aime analyser son professeur d'histoire. Mais ce n'est que bien plus tard, bien trop tard pour son équilibre psychique, qu'il cherchera à connaître sa vraie famille, ses origines, suite à une série de vertiges, de crises d'angoisse. « Cette censure que j'exerçais sur ma pensée, le rejet constant de tout souvenir qui pointait à ma conscience, continua Austerlitz, nécessitaient toutefois, de temps en temps, de plus grands efforts, et ils provoquèrent inéluctablement la perte presque complète de ma capacité de m'exprimer, la destruction de toutes mes notes et écrits, mes errances nocturnes dans Londres et les hallucinations  qui ma harcelèrent de plus en plus fréquemment, jusqu'à cette date de l'été 1992 où je finis par m'effondrer.» 

Divers indices lui permettent de se compter au nombre des enfants venus d'Europe centrale en 1939 pour trouver refuge en Angleterre. La piste le mène à Prague où il retrouve Věra, une parente survivante restée miraculeusement sur place, ce qui l'aide à reconstituer le souvenir de sa mère, Agáta, une comédienne tchèque que l'appartenance à la minorité juive condamna en 1941 à prendre le chemin du ghetto de Terezin (Theresienstadt) avant d'être convoyée vers un camp d'extermination en 1944. Les impressions de "déjà vu" se multiplient alors dans l'esprit d'Austerlitz, notamment lors d'une visite à Marienbad, où un précédent séjour avec son amie Marie de Verneuil l'avait déstabilisé au point de provoquer la fin de cette liaison. Plus tard, la recherche du père — Maximilien Aychenwald — mène Jacques Austerlitz à Paris sur la base d'une dernière adresse connue. Là, une crise le conduit à une nouvelle hospitalisation, à la Salpêtrière, où l'on diagnostique une épilepsie hystérique. Poursuivant des recherches à la Bibliothèque Nationale puis à la Très Grande Bibliothèque — qu'il déteste en tant qu'amateur d'architecture de la belle époque — il aboutit à la conclusion que son père dut bien malgré lui prendre le train à la gare d'Austerlitz puisqu'il fut déporté à Gurs. Ensuite, il est possible qu'il ait quitté la France, par un convoi parti de Drancy ou d'ailleurs, comme celui qu'évoque, sur le mur d'un bunker de Kaunas, un graffiti daté du 18 mai 1944 : date de naissance de Sebald. Austerlitz découvre ainsi ce que fut la "solution finale" à travers le cas de ses parents et prend conscience de l'extension de la domination nazie hors d'Allemagne. 

Comme ailleurs chez Sebald, marcher est essentiel ; le narrateur comme le héros parcourent la ville. Comme dans la plupart des autres ouvrages de Sebald, des photographies servent à la fois d'illustrations et de pièces à conviction. Beaucoup concernent l'architecture — c'est le métier d'Austerliz — et spécialement de métal et de verre propre aux grandes gares : à Anvers, à Paris, à Prague. On peut aller jusqu'à évoquer une obsédante mélancolie pour cette architecture datée, agrémentée de verrières ou de coupoles vertigineuses dominant des halles désertées par les voyageurs, par les clients du "Great Eastern Hotel" à Londres ou témoignant simplement du passage du temps aux Archives d'État. La visite des cimetières vient aussi renforcer la tristesse du récit tandis que des collections d'objets sont les témoins de la fuite du temps et s'ajoutent aux poussières des bibliothèques et des archives. Par delà le chaos du siècle, les questions que pose Sebald sont essentielles, ce sont celles de la condition humaine. 

À lire absolument. 

W. G. SEBALD  -  Austerlitz  - Traduit de l'allemand par Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2002, 349 pages.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE
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