Ce récit tient à la fois de l'autobiographie et de l'essai : Victor Kathémo tire de son histoire personnelle un enseignement assez amer sur la condition du Noir dans le monde aujourd'hui. N'allons pas croire que ce "roman" vient allonger l'imposante liste de ses semblables, car le positionnement de ce jeune écrivain est différent : tiraillé entre deux ethnies, deux nationalités, deux "couleurs", victime de la stigmatisation autant en Afrique que dans "l'Hexagone" —jamais Victor Kathémo n'écrit "la France"—. Le goût pour les mots rares, la polyphonie des registres signalent son originalité stylistique ; la référence au fou de Gogol, en exergue, donne le ton du livre : désenchanté mais non désespéré.
• De légendes en anecdotes, entre épique et humour, Kathémo déconstruit son histoire familiale harcelée par la discrimination : son grand-père bâtard d'un Bilemba et d'une étrangère, esclave échappée aux Arabes… Leur fils, marié à une rwandaise mal vue du clan paternel —le Rwanda, "un monde de boue"—… La fuite du couple au Congo Kinshasa, à Bukavu, où naît l'auteur. Dès l'école primaire il affronte les mêmes préjugés, les mêmes persiflages que sa mère, de lignée paternelle hutu, maternelle tutsi. Collégien, il doit supporter la violence des prêtres pédophiles ; étudiant à Bujumbura, au Burundi, il encaisse provocations et sarcasmes car les Congolais y sont mal vus… Il fuit dans l'Hexagone : Paris, Strasbourg, Amiens ou Bordeaux, sous le regard souvent méprisant des Français de souche, le jeune émigré doit s'accoutumer vite aux usages… La rupture avec le continent noir creuse sa douloureuse cicatrice.
• Kathémo —"lueur des ténèbres"—, demeure borderline : sang mêlé rejeté dans son pays, immigré discriminé en Europe, "aube" en Afrique, "nuit" en France, il reste partagé entre amertume et ressentiment. "Il est injuste de prétendre que l'on puisse refuser de s'intégrer dans la société où l'on vit" écrit-il ; il dénonce cette "imposture" car tout émigré est contraint de "se fondre dans la masse", de "devenir lisse": il "perd son éclat et s'endort comme un mort". V.Kathémo revendique sans honte ses racines africaines, mais ne se rallie pas à la posture vindicative de ses frères noirs. Lui qui croyait le métissage promoteur de l'enrichissement culturel de tous s'est construit sa propre philosophie :"…peu importe que l'on soit Blanc, Noir ou autre. Ce qui compte, c'est le rouge du sang commun à tous, la chaleur qu'il dégage."
• Sa chance ? Être né, exister. Son credo? croire en lui-même et en sa propre vision du monde. Sa force? résister au regard d'autrui qui mène à douter de soi. Son arme? son écriture, souvent polémique, voire pamphlétaire, amoureuse de la langue, où la poésie vient se poser "comme une phalène sur une fleur de flamboyant". Saluons ce petit frère de Mabanckou!
• Victor KATHÉMO - Naître ou ne pas naître Noir. Myriapode, 2011, 178 pages.
Lu par Kate.