Un narrateur anonyme, membre de la bande informelle des gamins d'une rue d'un quartier populaire, raconte les aventures des adultes qui y habitent. L'action se passe à Port-of-Spain, la capitale de Trinidad, où Vidiadhar Surajprasad Naipaul est né en 1932. Nous sommes dans les années 40-45. Les troupes américaines installent une base dans l'île et y amènent du chewing-gum et de providentiels dollars. À la fin du récit, le narrateur, en qui l'on doit partiellement reconnaître V.S. Naipaul, prend l'avion pour aller étudier à l'étranger.
Ce recueil de nouvelles présente l'originalité, non pas d'être à moitié biographique, mais de faire le portrait, en dix-sept brefs chapitres, de personnages originaux, d'origine indienne ou africaine, qui ont surtout en commun d'être naïfs, excentriques, ou un peu décalés. L'un, prétendument menuisier, s'apprête à construire une chose qui n'a pas de nom. Un autre met le feu à sa maison en se prenant pour un pyrotechnicien. L'oncle du narrateur aime bricoler les voitures au risque de créer des pannes irrémédiables au moment où l'on a besoin d'un véhicule. Tel autre anti-héros ne va pas toucher son gain à la loterie car il ne croit pas ce qu'écrivent les journaux qui publient le résultat des tirages.
« Un étranger qui traverserait en voiture Miguel Street dirait "pouillerie", parce qu'il ne verrait rien d'autre. Mais nous qui y vivions, voyions notre rue comme un monde où chacun était très différent de l'autre. Man-Man était fou ; George stupide ; Big Foot un matamore ; Hat un aventurier ; Popo un philosophe ; et Morgan notre comédien.»
Par le regard des jeunes gens de Miguel Street on contemple une vie populaire toute simple, proche de la misère matérielle pour certains. Mais on s'amuse surtout des déconvenues personnelles des adultes, des couples qui se défont, de l'alcool source de violence conjugale, le tout dans une atmosphère plutôt bon enfant et portée à la blague.
Quand Edward prend une femme blanche et vraiment très pâle, les voisines jasent : « C'est une de ces filles modernes. Elles veulent que leur mari travaille toute la journée et qu'en rentrant à la maison ils fassent la cuisine, le ménage et lavent la lessive. Tout ce qu'elles savent faire, c'est mettre de la poudre et du rouge sur leur figure et marcher en trémoussant leur arrière-train...» Quand il apparut que le couple n'aurait pas d'enfant, la sanction des voisines tomba : « Comment voulez-vous que des femmes roses et pâles comme ça puissent avoir des bébés ?» Plus tard, elle le quittera pour un Américain. Quitter l'île est le rêve de beaucoup, au risque de se faire escroquer.
Publié en 1959 entre "Le masseur mystique" et "Monsieur Biswas", ce second ouvrage de V.S. Naipaul se lit agréablement sur le rythme enjoué du calypso.
• V.S. NAIPAUL. Miguel Street. Traduit de l'anglais par Pauline Verdun. 10/18 - 1994, 231 pages.