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Docteur en sociologie à l'IEP, Ugo Palheta dénonce l'illusoire démocratisation de l'enseignement et les discours publics qui prétendent revaloriser le professionnel. Malgré la création du bac pro en 1985, "l'égale dignité des filières" n'est qu'une idéologie irréaliste et fallacieuse : la "domination scolaire" perdure, l'enseignement professionnel (E.P.) a toujours mauvaise réputation dans les classes Palheta.jpgmoyennes et aisées qui lui préfèrent l'enseignement général et technologique. D'ailleurs, l'enseignement professionnel est lui même hétérogène et reproduit les inégalités sociales, de genre et d'origine. Si une majorité de jeunes de milieux populaires le choisissent ou y sont orientés, c'est selon des filières elles aussi hiérarchisées. Grâce à plusieurs enquêtes et écoutes de terrain, Ugo Palheta démontre qu'il faut se garder de toute généralisation quant au public de l'E.P., comme le font les discours théoriques des sociologues de la reproduction. Tous les élèves n'y sont pas des "damnés de la terre" scolaire qui subiraient passivement leur relégation. Certes ils sont encore trop nombreux à y vivre l'échec ; mais la plupart développe des stratégies de résistance, des accommodements. Ils se donnent une liberté de choix qui interdit de les considérer tous comme des victimes dominées : même si les diplômes délivrés limitent ces jeunes au salariat d'exécution, ils leur donnent une qualification professionnelle et ainsi neutralisent les verdicts scolaires antérieurs négatifs.

• Dominé autant par l'EGT que par la transformation de l'organisation du travail et la crise économique, l'E.P. n'en contribue pas moins à reproduire l'ordre social. Quels jeunes y sont orientés? Plus leur origine sociale est modeste plus précoce est leur redoublement : on décèle dès l'école primaire des inégalités face aux apprentissages ; ces élèves peinent à acquérir la culture écrite et "l'enseignement se montre incapable de réduire l'écart cognitif et comportemental entre ses exigences et la culture populaire". Le collège accroît les écarts sociaux d'acquisition, le redoublement y prépare la division des publics scolaires: 60% des enfants des classes dominées ayant redoublé sont orientés vers l'E.P. Mais l'élève et sa famille développent des formes de résistance à cette identité scolaire stigmatisée : on note l'homologie entre le choix des différentes filières professionnelles et les différents habitus de classe. Ainsi s'élaborent des logiques d'ajustement aussi éloignées du "choix de nécessité" économique que du seul calcul rationnel des coûts et des avantages.

• Les familles d'artisans, de commerçants ou d'agriculteurs préfèrent placer leur enfant en apprentissage salarié chez un patron facile à trouver grâce à leur réseau professionnel. Les parents ouvriers ou employés choisissent plutôt l'apprentissage scolarisé en lycée : nourrissant une  forte espérance scolaire pour leurs enfants, ils espèrent une possible poursuite d'études après l'obtention d'un bac pro. Les rapports de genre déterminent aussi le choix des filières : les filles se dirigent vers des emplois dans la distribution ou les services, les garçons vers la mécanique ou l'électronique. L'origine conditionne également les choix ; là encore on ne peut généraliser : selon le pays de provenance, l'insertion dans la société d'accueil. Toutefois, les enfants d'immigrés sont peu présents dans l'apprentissage : le surinvestissement familial de l'école les mène à privilégier le lycée dans le projet d'une poursuite d'études.

• La domination symbolique de l'enseignement général sur l'enseignement professionnel perdure, et ce dernier reproduit les inégalités sociales, de genre et d'origine. Mais la structure sociale ne pèse pas systématiquement ni en permanence sur l'esprit des jeunes que l'on y scolarise. Ils savent en infléchir les contraintes et donner du sens à leurs études ; les valeurs familiales de virilisme, le scepticisme à l'égard des études théoriques, le sens pragmatique les aident à dépasser le sentiment d'exclusion. Sans toutefois le minimiser, J. Binon et F. Œuvrard ont bien montré, dés les années 80 ,que "les élèves de lycée professionnel semblent beaucoup moins mal dans leur peau qu'on ne le dit communément".

Ugo Palheta : La domination scolaire. Sociologie de l'enseignement professionnel et de son public. PUF, 2012, 354 pages. 

 

Tag(s) : #EDUCATION
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