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Cook-Leçons du malAu lycée de Lakeland, petite ville du Mississippi, un professeur nommé Jack Branch fait cours sur le mal et les héros maléfiques en littérature. A l'issue du semestre, ses grands élèves devront rendre un essai sur un personnage de leur choix incarnant le mal.

• Ce professeur est le narrateur ; son style très soigné reflète fidèlement son milieu d'origine. Son père, « incarnation du vieux charme sudiste », avait également été enseignant à Lakeland, mais il incarnait surtout une élite économique et sociale, en l'occurence celle des planteurs qui possèdent de vastes domaines où l'on cultive le coton. Ils habitent de vastes demeures de style colonial avec une façade où les colonnes supportent un fronton. Le titre américain "Master of the Delta" renvoie bien à cette société dominée par les riches planteurs et leur descendance. « J'étais un Branch, donc quelqu'un qui abordait les autres mais que les autres n'abordaient pas.» Le roman est profondément ancré dans le Sud : Jefferson Davies, le président de la Confédération, avait même séjourné à Great Oaks dans la demeure ancestrale des Branch où le portrait du général Lee orne le grand salon. Le général sudiste est d'ailleurs le patron de la fraternité étudiante à laquelle appartient le narrateur. « Je compris que je ne quitterais jamais ma demeure ancestrale, et que, toujours et fièrement, de l'arbre de mes ancêtres, je serais une branche.»

• Au lycée public, les élèves viennent pour la plupart du quartier des Ponts. Ils forment le monde des "petits blancs" et constituent une classe dangereuse : c'est « la racaille » pour certains enseignants. « Les Ponts était un quartier particulièrement délabré, un quadrillage d'une vingtaine de rues, qui bordait la voie ferrée au sud de la ville. (...) Les habitations des Ponts consistaient pour la plupart en de vieilles maisons en bardeaux de plain-pied, aux toitures en tôle et aux vérandas en ciment qui surplombaient de maigres pelouses parsemées de chiendent et de pièces détachées d'automobiles, d'appareils électroménagers hors d'usage, de glacières abandonnées qui dataient de la Grande Dépression…» Les Noirs, eux, sont tenus en dehors du récit. « La région damnée des Nègres constituait l'extrémité est de la ville, tout aussi mystérieuse que l'Afrique elle-même, et d'où rien ne filtrait, du moins pas encore, hormis les prêches exaltés de ses pasteurs et les chants de ses chorales…» On est en 1954 et la déségragation n'a pas encore commencé. Mais revenons à l'intrigue.

• Il y a des années, Linda Gracie, dix-sept ans, a été torturée, violée et massacrée par Luther Ray Miller qui avait alors un fils de cinq ans. Par noblesse d'esprit et de cœur, Jack Branch s'intéresse au fils de ce criminel, qui est devenu son élève : Eddy Miller, — « si solitaire, si emprunté, si isolé, qui se murait dans le silence, silhouette avachie au fond de la classe pendant [le] cours sur le mal » — a peur d'avoir hérité l'esprit maléfique de son père. Il se voit conseiller de prendre son assassin de père comme sujet de devoir. Cet objectif devrait l'amener à liquider ses craintes ; pour se documenter, Eddy est aidé par son professeur qui n'hésite pas à utiliser ses relations haut placées pour lui faciliter l'enquête. Le shériff du comté lui explique comment avant le procès son père a été tué dans sa cellule par un codétenu, Marl Brogan, « une figure locale du KKK ». Eddy rencontrera donc cet assassin dans sa prison de Willard's Bluff grâce aux relations de son professeur. Il se rendra de même dans le quartier des riches où Miller senior avait été jardinier. Branch père imagine même avoir quelque parenté avec la mère d'Eddy, probablement fille bâtarde du grand-père Branch. Quant à Jack Branch, l'assurance qu'il a d'appartenir par le sang à l'aristocratie sudiste est ébranlée par la lecture d'un extrait du roman paternel pris pour une confession véridique. Il est vrai que le père passe sa retraite à écrire en secret, notamment une biographie d'Abraham Lincoln — choix étonnant pour un homme qui porte la mémoire des Confédérés vaincus dans « un conflit qui, à son terme, avait rendu orphelins la moitié des enfants du Sud.» On voit ainsi que les deux principaux personnages sont amenés à s'interroger sur leur identité.

• Mais en quoi est-ce un polar ? Sheila Longstreet, la jolie fille des Ponts, a largué son copain Dirk pour Eddy. Sheila et Eddy s'attirent ainsi les foudres de Dirk, également plein de haine contre Jack Branch qui a lui aussi une petite amie issue de ce quartier, Nora. Un jour fatal de 1954, Eddy est attaqué et gravement blessé et Nora est tuée en se portant à son secours. Les minutes du procès de Dirk Littlefield, et de son complice Wendell, viennent à plusieurs reprises interrompre — et compléter — le récit de Jack Branch. Ce récit est composé bien des années après les faits, « après que le quartier des Ponts eut été démoli » et nourri d'événements qui se sont passés entre temps. Cette alternance des temps du récit donne un agrément certain à la lecture de ce roman plus sudiste et psychologique que policier.

 

• Thomas H. COOK  -  Les Leçons du mal.

Traduit par Philippe Loubat-Delranc, Editions du Seuil, 2011, 356 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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