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L'action se passe en 1988, peu avant la mort de Thomas Bernhard, disparu à la veille de la "générale" et c'est un peu le "baisser de rideau" de l'auteur. Un demi-siècle auparavant Hitler fut applaudi par les Viennois au Place-des-Heros.pngmoment de l'Anschluß, c'était sur la Heldenplatz, la Place des Héros, au centre de la Vienne monumentale de l'empereur François-Joseph. 

La première scène sert de manière classique à l'exposition par la bouche de Madame Zittel la gouvernante d'un universitaire juif. Or, ce professeur Josef Schuster vient de se suicider en se défénestrant de son appartement qui donne sur cette fameuse place et sur la Hofburg. En 1938, alors que, déjà, son jeune frère s'était suicidé à Neuhaus, il s'était exilé en Angleterre et y avait enseigné. En 1955, à la signature du traité mettant fin à l'occupation alliée de l'Autriche, il était rentré à Vienne mais c'était une erreur : sa femme Hedwige — dont la fortune vient d'une fabrique de … vinaigre — n'a jamais été à l'aise à Vienne. Depuis des années elle y entend les clameurs nazies montant de cette sinistre place. Rien n'y a fait, même pas des séjours à Steinhof, l'hôpital psychiatrique où « la bonne société viennoise […] est tout entière allée au moins une fois » pour subir des électrochocs. D'où, finalement, la vente de l'appartement et les préparatifs pour retourner en Angleterre. Le précieux piano Bösendorfer est déjà expédié et les malles sont prêtes, étiquetées pour Oxford.

Dans la scène finale, après les obsèques, tous les personnages sont réunis dans la salle à manger et s'interrogent sur le retour en Carinthie dans la grande maison familiale de Neuhaus achetée par le grand-père en 1917. Au fil de la pièce se précisent le portrait de Josef Schuster, l'image d'une famille traumatisée, et d'un pays où « tout est en cours de décomposition ». Avant de disparaître, Thomas Bernhard règle ses comptes avec l'Autriche et Josef Schuster est en quelque sorte son double. Le professeur Robert se fait le porte-paroles de son défunt frère comme de l'auteur : « Ce petit Etat est un gros tas de fumier » ou encore « un cloaque.» En effet, les deux frères redoutent le retour des nazis au pouvoir puisqu' « il y a aujourd'hui plus de nazis à Vienne qu'en trente-huit.» L'Autriche est présentée par les personnages de Thomas Bernhard comme un pays où tout homme politique est « un porc corrompu » élu par « des débiles styriens et des idiots salzbourgeois.» Le défunt concluait : « être Autrichien c'est mon plus grand malheur.»

Le pays en est arrivé là à cause des partis politiques, de l'Eglise, de l'industrie, des théâtres, des journaux « tous ensemble fossoyeurs de leur pays ». L'actualité semble donner raison à l'auteur : moment où il vit ses derniers moments, la République est présidée par Kurt Waldheim, un ancien de la Wehrmacht qui a servi en Grèce et en Yougoslavie, sous les ordres du général Löhr plus tard condamné à mort comme criminel de guerre. Le président Waldheim tenta d'empêcher la représentation de cette pièce … Comme dans les romans, le ressassement est une technique où le lecteur reconnaît la signature de l'auteur ; c'est un outil de son écriture théâtrale tandis que l'irritation est fréquemment son registre. Ceci n'évite pas les scènes triviales, tel le repassage des chemises du professeur dans la scène d'exposition. Malgré le caractère exceptionnellement noir de cette ultime pièce du dramaturge autrichien on y retrouve assez systématiquement le thème du dégoût que l'on voit dans ses autres œuvres. Il existe à l'égard de tout ce qui est autrichien (et allemand), depuis le passé nazi jusqu'à la presse actuelle — seule la "Neue Zürcher Zeitung" relève le niveau de la presse germanique comme dans "Le neveu de Wittgenstein"! Ce dégoût gâte l'existence et contamine tout sauf peut-être la musique. « Moi , dit Robert, c'est à cause de la musique que je suis revenu à Vienne.» Quant au théâtre ? « Ça n'est pas une occupation intellectuelle pour ces gens — le théâtre ne sert en fait qu'à réguler la digestion.»

Thomas BERNHARD - Place des Héros - Texte français de Claude Porcell - L'Arche, 1990, 170 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE
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