Prenez un pavillon au bord du périphérique ouest d'une grande ville qui restera anonyme faute d'indication plus précise. Margherita, bientôt quinze ans, rêve de poésies et invente des débuts de romans. Autour d'elle il y a Fausto, un père passionné de vieux vélos et autres objets qui envahissent la cave, Emma une maman mordue de feuilletons télévisés, Giacinto le grand frère, Eraclito le petit prodige, Socrate le grand-père farfelu et le chien Roupillon. C'est encore un peu la campagne : pas très loin, le vieux Pietro exploite une petite ferme et il est fier de ses pastèques. Le jardin mal entretenu qui commence derrière la maison de Margherita est encore le terrain de jeux qu'elle préfère ; plus loin c'est un cours d'eau où pêcher avec le grand-père, et puis des bois, et même une maison détruite par la guerre longtemps avant la naissance de Margherita Dolcevita ; elle imagine qu'une petite fée l'habite.
On sent que l'auteur s'est fait plaisir en accumulant les formules joyeuses et piquantes prêtées à l'adolescente quand elle décrit sa famille et ses voisins. Voici le chien de la maison, un inénarrable bâtard : en faire « l'un des plus mystérieux composés arcimboldiens de la nature » c'est plus drôle. On rit sans se lasser au récit de ses impertinences en classe quand la prof explique le théorème de Pythagore et la tire de sa somnolence « appuyée à l'hypothénuse. » L'enfance douce et tranquille de la rêveuse Margherita – et de son jeune frère – va prendre fin au cours de ce récit ! Une maison de style ultra-moderne, cube noir aux murs mystérieux, est sortie de terre : s'y installent les Del Bene, comme une parodie de nouveaux voisins branchés mais vulgaires. Dans son journal intime l'adolescente note les travers amusants de ces importuns. Décrire deux familles de manière contrastée est après tout un habile procédé de romancier. Seul Angelo, le fils des voisins, est capable de séduire Margherita, même si les Del Bene le présentent comme un garçon peu intéressant et le font passer pour névrosé !
Page après page, ce qui n'était d'abord qu'un amusant badinage devient dérangeant. Les Del Bene s'imposent et imposent leurs façons de voir à la famille de Margherita. Passe encore pour l'écran plasma, les surgelés et l'air conditionné… Cela devient désagréable – mais on ne peut rien prouver – quand le grand-père trop curieux se retrouve hospitalisé après avoir été renversé par une moto. Cela devient franchement alarmant quand Margherita et son jeune frère Eraclito se doutent que leur père et leur frère aîné ont été embrigadés par Del Bene, sont devenus fanatiques des options sécuritaires, et qu'ils se livrent à des activités commerciales illégales. Margherita et Eraclito entrent en résistance, mais les empêcheront-ils de développer leur réseau d'escadrons de la mort et à quel prix ? La comédie légère risque ainsi de se transformer finalement en une fable politique plus sinistre qu'un roman noir. C'est aussi une dénonciation de notre société qui perd en même temps le sens des valeurs humanistes et le respect de la nature. Heureusement il y a Stefano Benni.
Stefano BENNI - Margherita Dolcevita - Traduit par Marguerite Pozzoli, Actes Sud, 2008, 248 pages.