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Foorte-Tourbillon.jpegAujourd'hui presque absent des catalogues des éditeurs, Shelby Foote a été connu pour ses romans ancrés dans le Sud, celui des Confédérés, celui des passions humaines, celui d'une société qui craignait Dieu. Avec "Tourbillon", publié aux États-Unis en 1950, il met en scène un paysan du Mississippi. Porteur d'une lourde hérédité et frappé dans son ménage par le destin, il se convertit à une pratique religieuse extrême et est conduit au meurtre d'une jeune femme trop excitante. On reviendra plus loin sur la réussite formelle d'un roman qui dévoile l'essentiel des faits dès le premier chapitre.

 

Luther Eustis n'a guère connu son père : celui-ci a tenté de maquiller le meurtre de son épouse, qu'il jugeait légère, par l'incendie de sa maison. Il y a trouvé la mort, tandis que le grand-père, rescapé des batailles confédérées, parvenait à sauver son petit-fils. Mais le destin rattrape Eustis après son mariage : un enfant mort-né, puis une fille qui s'avère idiote et incurable. Ce choc provoque la conversion d'Eustis : il fréquente soudain l'Église et un prédicateur illuminé (*) par une peine de prison. « Frère Jimson est venu chez nous, dit Mrs Eustis. Son premier sermon avait pour thème le Péché originel et la Rédemption, ç'a été l'un de ses meilleurs.» Désormais, Luther Eustis ne quitte plus jamais sa Bible : au milieu du travail dans un champ il s'arrête, ouvre sa Bible, lit et prie. Mrs Eustis décrit le baptême de son époux.

 

« Il y avait une séance de sanctification sur l'autre rive du lac (…) et Mr Eustis faisait partie des prétendants. Frère Jimson avait de l'eau jusqu'à la taille. C'était un jeune homme à cette époque, il portait sa robe de baptême blanche. Il avait tout récemment entendu l'appel de l'au-delà. Mr Eustis était le quatrième dans la file. Il a pris les choses calmement les deux premières fois quand on l'a plongé, mais, la troisième fois, il est sorti en hurlant qu'il venait de voir les Célestes Phalanges. Le Seigneur l'avait touché dans sa trente-deuxième année.» Peu après le nouveau converti fera fabriquer une ceinture de chasteté pour sa fille démente.

 

Ensuite seulement viendra le drame de la rencontre avec Beulah, une fille à soldats devrait-on dire, entraînée à la prostitution par sa mère. Cette jeunette se trouve étrangement attirée par Eustis. Touché par le démon de midi, le voilà qui abandonne femme et enfants et avec sa Bible pour tout bagage, le voilà qui emmène Beulah dans une île déserte — à l'exception d'une femme à barbe et de son fils sourd-muet explicitement surnommé Dummy. Dans ce jardin d'Éden, l'impudique Beulah est une tentation permanente qui éveille les sens du jeune homme. Eustis met un terme à l'aventure, Beulah meurt noyée et lui-même retourne à sa ferme, muni de menus cadeaux pour sa femme et ses filles. Le dimanche suivant, Eustis n'ira pas au temple : « J'avais peur, si j'y allais, que Dieu me fasse mourir sur le coup pour me punir d'avoir fait pénétrer Satan dans la maison de prières.» La police retrouve aisément l'assassin chez lui : Dummy qui avait lu nom et adresse dans la Bible d'Eustis l'a dénoncé auprès du shérif.

 

Ce roman s'inscrit dans le Sud de diverses façons. Il évoque l'installation des premiers colons sur ces terres du Mississippi dont les Choctaws furent chassés vers 1820. À plusieurs reprises, les personnages passent devant le monument du Soldat Confédéré, sur le socle duquel est gravée une devise prêtée au général Lee. Luther Eustis et sa femme Kate, comme leurs aïeux sur place, cultivent le coton. Si le comté imaginaire de William Faulkner est le Yoknapatawpha, celui de Shelby Foote a nom Jordan County — et dans ce nouveau pays du Jourdain, la vie d'Eustis est celle d'une marionnette dont se joue le monde divin. Son libre-arbitre n'existe plus. N'a jamais existé. Ne se prénomme-t-il pas Luther ? Il est comme prédestiné et dans ces conditions comment pourrait-on l'envoyer à la chaise électrique pour son crime ? En somme ce "Cotton belt" est marqué par l'héritage biblique et une tension forte entre puritanisme et luxure.

 

L'originalité de la structure narrative de l'œuvre est une remarquable réussite. Comme dans "The Ring and the Book" de Robert Browning, la narration passe successivement d'un point de vue à un autre. Le roman commence avec l'ouverture du procès d'Eustis. Alors que le public attend une condamnation à mort, l'avocat de la défense joue la carte de la folie de son client et non pas celle d'un craignant Dieu. Après le greffier du tribunal, seul intervenant prêt à pratiquer l'ironie, le récit donne la parole à un journaliste désinvolte, puis à Eustis, à Beulah, à l'épouse d'Eustis, à son avocat pour la plaidoirie finale et enfin au guichetier de la prison d'où le condamné partira pour le pénitencier d'État. Contrairement à de nombreux romans ou séries télévisées, l'œuvre de Shelby Foote ne nous écrase pas sous l'avalanche de péripéties judiciaires fastidieuses ; les témoignages successifs approfondissent simplement l'analyse psychologique des personnages et mettent brillamment en avant le poids de leur passé.

 

• Shelby FOOTE - Tourbillon. Traduit de l'anglais par Maurice-Edgar Coindreau et Hervé Belkiri-Deluen. Postface de J.M.G. Le Clézio. Gallimard, Du monde entier, 1978, 325 pages. (Réédité dans la collection L'Imaginaire).

 

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(*) Ce prédicateur illuminé, Frère Jimson se retrouve dans un autre roman de Shelby Foote, "Septembre en noir et blanc". Il est évoqué par sa fille Reeny — en réalité Renée, prénom à prendre au sens premier :

« Mon père — Billy avant que tout le monde se mette à l'appeler Frère  Jimson — était, à l'origine et dans le meilleur cas, un ouvrier agricole itinérant, un égreneur de coton. Il avait été d'abord un pilier de cabaret, puis avait purgé une peine au pénitencier de Parchman pour avoir participé à l'attaque à main armée d'une taverne. C'est là, devait-il dire plus tard, qu'il entendit "l'Appel", mais il ne le manifesta  que lorsqu'il rencontra ma mère à un "revival", à Lake Jordan, au sud de Bristol. C'est après sa mort qu'il se mit à collectionner les femmes, ce qui était sa façon à lui de manifester son chagrin et de lui rendre hommage. Il s'était toujours montré fort dévot entre deux bordées, rendant témoignage au cours des services religieux, mais bientôt ce fut en chaire qu'il monta, du moins aussi souvent qu'il en trouva une pour l'accueillir, et aux femmes qu'il consacra ses loisirs. Ce grand diable d'homme aux manières rudes et bourrues leur adressait des prêches vibrants, et ensuite il les sautait. Oui, pour lui ça se tenait… la luxure et le Seigneur.»

Septembre en noir et blanc, Denoël, 1981, page 145.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ETATS-UNIS
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