Ce roman publié en 1981 nous ramène une grosse vingtaine d'années en arrière. Tandis que Ford réalise le lancement de son modèle Edsel, que la Nasa rate celui d'une fusée et que les Russes s'apprêtent à réussir la mise sur orbite du Spoutnik, un trio de pieds nickelés venu de l’État du Mississippi débarque à Memphis en septembre 1957. La fine équipe, deux hommes et une femme, s'est mis en tête de kidnapper un jeune Noir de famille aisée pour en tirer une forte rançon. Ils comptent agir à l'ombre de l'agitation médiatique du moment : neuf jeunes Noirs sont inscrits pour la rentrée scolaire au lycée de Little Rock malgré l'opposition du gouverneur de l'Arkansas, Faubus, soutenu par les démonstrations de force du Klan. On sait que le Président Eisenhower finira par obtenir l'intégration de ces jeunes gens et que c'est une étape connue dans la longue route de la déségrégation. Dans ce climat de fortes tensions raciales, les criminels misent sur le fait que la famille n'avertira pas la police.
L'atmosphère urbaine du Sud, c'est ici celle de Memphis, porte d'entrée du Delta, avec une importante population noire que l'on présente groupée par la ségrégation dans des quartiers en train de se dégrader. Beale Street, où exercent Eben (Ebenezer) et Theo (Theodore), semble le centre de ce Memphis noir, que l'on parcourt avec les personnages du livre au moment de leur repérage des lieux.
« Le paradis des Nègres était drôlement décati (…) avec ses quatre ou cinq pâtés de maisons, ses magasins aux enseignes poussiéreuses, ses boutiques de prêteurs sur gages surmontées des trois boules classiques. Ses lumières au néon qui éblouissaient et racolaient les culs-terreux débarquant de leurs cambrousses pour venir jouer aux dés, lever les filles et manger de la friture de poisson-chat ou de porc fumé. Ici et là surgissaient les façades plus étroites des maisons de commerce, et nous nous sommes arrêtés devant celle qui nous intéressait.»
Le kidnapping est préparé et effectué sans anicroche. Enlevé avec douceur, Teddy, huit ans, se retrouve dans un quartier de Memphis qui domine le fleuve et ses ponts vers l'Arkansas, dans une maison qu'il ne connaît pas mais où il est bien traité. L'auteur s'intéresse aux ressorts intimes de chacun ; il donne la parole à tour de rôle aux acteurs de l'enlèvement — ce qui rappelle un peu la structure narrative de "Tourbillon" — ainsi qu'à la famille du gamin. Le père, Eben Kinship, a épousé la fille d'un homme d'affaires noir, Theo Wiggins, occupé à gérer ses immeubles locatifs et à éviter toute querelle avec les Blancs. Theo puisera dans ses comptes bancaires pour payer seul la rançon. Adjoint de son beau-père, Eben est jusqu'ici un gendre docile, mais l'enlèvement fait naître de la tension au sein de cette famille modèle ou presque.
Shelby Foote brosse scrupuleusement le portrait psychologique des kidnappeurs, Podjo Harris, Rufus Hutton et la blonde Reeny Perdew, dont on découvre les passés troubles et tumultueux. Il s'attache à montrer comment Reeny, qui est la maîtresse de Rufus, n'est pas mue que par des pulsions sexuelles. Reeny — Renée en fait pour son père prédicateur qui voyait en elle « une réincarnation de [sa] mère, morte en [la] mettant au monde.» — va s'éloigner de Rufus et lui préférer Podjo. Entre les deux hommes le lecteur aussi est amené à constater une évidente différence intellectuelle. Rufus, menteur invétéré sur son passé, est toujours au bord d'initiatives risquées pour le groupe ; Podjo, l'homme à la moustache qui effraie le petit Teddy, est bien plus subtil et prudent que son rival. On est ainsi très progressivement mis sur la voie d'une fin tragique, mais quand Rufus utilise des billets de la rançon pour s'acheter une très voyante Thunderbird blanche — qui souligne bien le mythe automobile de l'époque — quelques hypothèses de lectures se précisent pour le lecteur attentif aux news données par la radio qu'écoutent Reeny et Podjo après la libération de leur prisonnier.
La Thunderbird blanche de Rufus : le top de l'auto en 1957…
Au final, une bonne introduction à la thématique du Sud, mais l'œuvre n'a pas été rééditée récemment.
• Shelby FOOTE - Septembre en noir et blanc. Traduit par Jane Fillion. Denoël, 1981, 322 pages ("September, September", Random House, New York, 1977). A été publié en 10/18.