Parmi les auteurs brésiliens ou portugais évoqués dans ce blog, il n'y avait pas trace de Paulo Coelho et, au regard de sa notoriété, c'était une lacune répréhensible. J'ai voulu remédier à cette lacune avec "Le Zahir". Mais ai-je eu raison ?
Un narrateur derrière qui l'auteur se cache tellement peu — il dédie son livre à sa femme Cristina, Esther dans le "roman" — un narrateur qui vend des millions d'exemplaires et affirme au cours d'un dîner mondain percevoir des millions de dollars (de 2 à 5 selon les années, cf. page 316) : voilà un ego bien dimensionné. « J'imaginais qu'un artiste de votre niveau était beaucoup plus riche » glisse, pince sans rire, un convive princier.
Par bien des côtés le narrateur est un personnage irritant. Après s'être présenté comme un adulte instable qui multiplie les conquêtes féminines et rejette deux épouses, le voilà qui, marié à une troisième, c'est donc Esther, entreprend un peu malgré lui de devenir un coach en recherche du bonheur en couple et sens de la vie sur terre. Malgré lui ? En effet, l'Esther en question qui commence à saturer lui a acheté un billet d'avion pour l'Espagne, avec mission de rejoindre Compostelle pedibus. Ce qu'il fit. Et ce fut son premier roman, avant "L'Alchimiste". Vint le succès, immense. Cependant Esther a fait ses bagages et quitté le romancier populaire pour le bout du monde, sans une seule explication. Il informe la police de sa disparition : « Vous êtes libre !» conclut le commissaire qui ne se savait pas si expert en polysémie. Libre de rentrer à son domicile aussi bien que libre de rechercher une nouvelle aventure féminine —ce qui ne manquera pas d'arriver avec Marie—, libre aussi de partir à la recherche d'Esther qu'il aime malgré tout, dit-il.
Mais d'abord, sous le choc de la disparition, l'auteur à succès sombre dans une sorte de dépression avant qu'un certain Mikhail, ou Oleg, jeune immigré venu de l'Est lui donne des nouvelles succintes de sa femme : elle va bien, elle vous aime toujours (!), elle vit au fin fond du Kazakhstan, elle tisse des tapis et enseigne le français.
Il n'en résulte ni un polar ni un roman d'espionnage —quoique Esther semble être en contact avec des guérilleros afghans, sans qu'on sache si c'est côté taliban ou pas— mais une quête spirituelle. Oui, oui ! Une quête spirituelle, tendance développement perso, avec un zeste de sagesse orientale version Tengrisme. Avant de faire le pas, c'est-à-dire prendre le chemin de Samarkand et au-delà — en fait l'avion pour Almaty — notre chercheur transcendantal fréquente un illuminé épileptique (Mikhail) qui l'emmène acheter des bouteilles de vodka pour les vider avec ses amis punks dans un squat parisien. Passées les brumes de l'alcool, le narrateur et l'épileptique foncent à travers le désert post-soviétique pour retrouver Esther. En route, le narrateur baptise un touriste suédois et se fait initier sur une montagne par un vieux chaman.
Vous ne demandez pas des nouvelles d'Esther ? Elle est enceinte et elle lit "Un temps pour déchirer et un temps pour coudre" — le dernier succès de son ex-mari. Preuve d'amour ? Ou de pénurie de librairies dans la steppe kazakhe ? Il faut supposer que le lecteur du "Zahir" supporte l'intrigue, qu'il apprécie les platitudes philosophiques, il faut bien supposer aussi qu'il accepte le médiocre style du roman! Des goûts et des couleurs, etc… Pour ma part ce n'est pas avec enthousiasme mais avec soulagement que j'ai terminé cette lecture à laquelle je m'étais forcé. Mais enfin on a connu pire : "La possibilité d'une île" par exemple!
J'allais oublier le titre. Paulo Coelho l'explique en citant une "Encyclopédie du fantastique" : « Selon l’écrivain Jorge Luis Borges, l’idée du Zahir vient de la tradition islamique, et l’on estime qu’il est apparu vers le XVIIIème siècle. Zahir, en Arabe, veut dire visible, présent, qui ne peut pas passer inaperçu. Un objet ou un être qui, une fois que nous l’avons rencontré, finit par occuper peu à peu toutes nos pensées, au point que nous ne parvenons plus à nous concentrer sur rien. Il peut signifier la sainteté, ou la folie ». C'est vrai que se référer à Borges c'est toujours classieux.
Paulo COELHO - Le Zahir. Traduit par Françoise Marchand-Sauvagnargues. Flammarion, 2004, 363 pages.