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Malgré les apparences, la mondialisation n'uniformise pas la consommation des produits de luxe. Élitaire bien que démocratisée, elle reste sous l'influence des religions : chaque culture s'est construit sa propre représentation de la richesse, Morand-Luxe.jpgmarquée par ses traditions historiques et cultuelles. Selon P. Morand, professeur d'économie, la sécularisation n'en a pas supprimé l'importance : le religieux garde toujours un impact sur l'économique car il établit une morale sociale plus prégnante que la croyance elle-même. Cette thèse originale constitue un nouveau plaidoyer pour la prise en considération des diversités des civilisations. En prenant le luxe comme étude de cas, Morand se livre à une analyse comparative des trois religions du Livre mais aussi des sagesses asiatiques, Confucianisme, Hindouisme, Bouddhisme… sans porter aucun jugement de valeur. Ses riches références aux textes sacrés comme à l'histoire révèlent que dans toutes les religions ou sagesses, autrefois comme aujourd'hui, coexistent deux tendances contradictoires : l'une, proche du "noyau dur" originel, condamne la richesse et le luxe ; l'autre, plus distante des sources historiques, les tolère et même les justifie.

Le Nouveau Testament comme le Coran, le Protestantisme ou le Bouddhisme condamnent le luxe et l'ostentation opulente des Églises. En revanche, la Torah encourage l'enrichissement car l'activité économique et l'acquisition de biens matériels constituent un chemin de libération spirituelle pour le juif ; Confucius, lui non plus, n'a jamais rejeté le profit. En fait, en toute religion ou sagesse, la position rigoriste cohabite toujours avec son opposée ; cette dialectique se trouve dépassée si on considère leur positionnement moral  commun face à la richesse. Toutes les religions la légitiment si elle résulte d'un travail honnête, si elle est vécue dans la tempérance et la modération ; si elle est produite mais redistribuée dans le souci de générosité sociale et non dilapidée pour la seule jouissance personnelle : le juif n'oublie jamais l'indigent. De même le luxe reste acceptable s'il ne tombe ni dans l'ostentation ni dans l'excès. P.Morand rejoint ici Max Weber : « la richesse n'est condamnable que lorsqu'elle incite à la paresse, à l'indolence ou à la jouissance coupable de la vie ».

Car dans toutes religions et sagesses, la richesse et le luxe demeurent indissociables d'un statut social, que l'on soit roi, homme de religion ou noble laïc. L'Église a toujours eu besoin du faste, « le luxe pour Dieu » : la flamboyance gothique —tissus, or des processions, chants et musique— impressionnaient les croyants ; les excès fastueux du baroque contraient la Réforme... Indissociable des arts et de la recherche esthétique, le luxe reste légitime dans l'Europe chrétienne. Certains courants, comme l'islam chiite ou le judaïsme sépharade autorisent le luxe et les plaisirs des sens si le croyant demeure dans la rectitude morale ; le Bouddhisme et l'Hindouisme tiennent le même discours : le luxe est le fait des riches, l'attribut de certaines castes et représente une des voies vers la quête de l'immortalité : « pour renoncer il faut avoir joui ». En Chine, depuis Confucius, la richesse signale « la face », la représentation : le luxe ritualisé correspond à un statut identifiable : chaque chinois consomme en conformité avec les normes de son groupe social, car il est vulgaire et méprisable de chercher la richesse et le luxe pour soi seul.

En montrant le lien paradoxal de l'économique et du religieux, P. Morand surprend et passionne : si les religions et sagesses condamnent la richesse et le luxe, elles ne cessent, dans le même temps de les légitimer : car si l'argent peut se révéler un mauvais maître pour le croyant, il reste un bon serviteur de sa position sociale.

Pascal Morand - Les religions et le luxe. L'éthique de la richesse d'Orient en Occident. Coédition IFM / Regard, 2012, 244 pages. 22 €.

 

 

Tag(s) : #ANTHROPOLOGIE
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