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Slavnikova.jpegMe voici, de nouveau, à la recherche du "grand roman russe" de l'époque post-soviétique quand d'autres partent à la recherche du "grand roman américain". L'étape du jour est "L'Immortel" d'Olga Slavnikova qui a écrit son roman à Ekaterinbourg en 2001. Rien à voir avec une histoire d'académicien du quai Conti...

 

Alexei Afanassievitch Kharitonov, depuis quatorze ans, vit reclus dans son appartement, suite à une chute qui en a fait un paralytique. Le vétéran de la grande guerre patriotique survit dans un imposant lit qui fut son butin de guerre. La pension qu'on vient lui verser le 20 de chaque mois assure les ressources du foyer. Même médiocre et rongée par l'inflation, il importe qu'elle dure et donc qu'Alexei vive. Soigné par Nina, son épouse, il survit ainsi dans le présent de la "stagnation" de l'ère brejnévienne, habilement prolongée par sa belle-fille Marina Borissovna. Après avoir apporté une réponse à la question  « ce temps fantomatique avait-il besoin d'événements ?» elle était allée jusqu'à fabriquer pour son beau-père les cassettes vidéo des XXVIIIe et XXIXe congrès du PCUS… « Nina, inquiète et perturbée, avait parfois l'impression que l'enterrement de Brejnev n'avait été qu'un leurre, que les années se divisaient toujours en plans quinquennaux.»  

Pendant ce temps immobile, ce temps figé, congelé, au-dehors de la chambre s'écoule le temps extérieur dégelé et mis en branle par Gorbatchev : l'empire soviétique a disparu, place à la Russie nouvelle. Marina travaille pour Studio A, médiocre entreprise de télévision locale, porte des chaussures italiennes, et aspire à une vie meilleure. Mais la guerre des télévisions la laisse sur le carreau : elle entre alors dans l'équipe électorale d'un politicien ambitieux avec lequel sa revanche sur le directeur Koukharski pourrait se réaliser. En payant le vote des électeurs, le professeur Chichkov projette de faire élire son poulain, Krougal qui, une fois élu député à la place d'Apotheosov (sic) et avec l'appui des autres actionnaires de la télévision, ferait chuter Koukharski. Mais cette utopie a-t-elle un avenir?

Si j'ai insisté sur ce deuxième point, ce temps extérieur à la chambre d'Alexei, c'est que la 4ème de couverture désinforme le lecteur en se limitant à présenter le temps immobile que vit le grabataire. Fable sur la transition du communisme au capitalisme, le roman d'Olga Slavnikova joue de façon inattendue avec le thème du ralentissement et non avec celui de "l'accélération de l'histoire" que les léninistes ont exhumé de l'état de guerre et que les modernes adorent. Il est  illustré avec le fonctionnement de la campagne électorale : sachant que les fonds disponibles ne sont pas inépuisables et que les électeurs, en nombre croissant, font la queue — comme autrefois devant les magasins vides — pour vendre leur vote et celui de leurs proches, Marina et sa collègue Liouba, pour éviter le krach, doivent ralentir jusqu'à l'absurde le paiement en espèces des votes... ce qui a le don d'énerver dame Pelouse, la travailleuse sociale qui flaire les coups fourrés.

La romancière dessine sans trop forcer le trait les contours de la nouvelle Russie orientée vers la consommation de produits étrangers, la course à l'argent, la violence et la corruption. Les nouveaux Russes « incluaient l'argent dans leur métabolisme, l'adaptant à leur biologie au moyen de caves à vins et de restaurants de luxe.» « La circonscription 18 où avaient lieu les élections anticipées à la Douma régionale » voit donc s'affronter Apotheosov et Krougal parce que « le député précédent, un ressortissant du Caucase financièrement russifié, avait été assassiné dans sa villa en construction…» Violence et corruption encore avec l'histoire du neveu de Nina, qu'elle imagine en nouveau Russe débarquant d' « une longue limousine laquée… vêtu d'un veston framboise à boutons dorés » alors qu'il n'était qu'un ivrogne tué par sa compagne, et que son appartement avait été revendu à prix cassé grâce à un compromis de vente antidaté et un dessous de table en dollars.

Mais Alexei est un homme véritable et non un immortel... L'écrivain doit donc imaginer le clash qui se produit à la jonction des deux temps du récit. Voilà un roman habile et dense, qui mérite d'être retenu comme l'illustration d'un moment, même si sa brièveté l'empêche probablement de devenir "le grand roman russe" des années présentes.

 

• Olga Slavnikova - L'Immortel. Histoire d'un homme véritable. Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. Gallimard, 2004, 205 pages. Vient de publier : "2017".

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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