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Entre comédie et tragédie, le roman de Nancy Huston "Infrarouge" est par bien des côtés une anthologie des catastrophes. La famille, le couple et les vacances touristiques en constituent les illustrations. L'héroïne de l'histoire est Rena, une photographe de presse qui ajoute à son métier une vraie passion d'artiste source d'expositions au parfum de scandale car Rena pratique la photographie infrarouge sur ses amants au moment de l'orgasme. Comme le roman évoque à l'occasion des photographes de légende, tels Lee Miller, Nobuyoshi Araki, et surtout Diane Arbus –d'où le pseudo de son alter ego : Subra– le lecteur est amené à s'intéresser à l'art de l'image du corps peut-être plus qu'à la Toscane qui est pourtant le but officiel du séjour touristique que Rena offre à son père Simon Greenblatt pour ses 70 ans.

La visite de Florence se transforme en pochade contre les touristes ; Simon et Ingrid la solide batave inculte avec qui il s'est remarié à Montréal forment un couple totalement inapproprié pour jouir des merveilles toscanes. L'un se perd dans les musées, les guides et les cartes routières, l'autre revit sans cesse les horreurs de la guerre dans la Hollande de 1944. En fait, les difficultés d'attention de Simon constituent un indice du malaise final. Entre les incidents de parcours muséal, Rena songe à sa propre existence, d'abord perturbée à l'enfance par la brutalité de son frère aîné, puis par une vie sexuelle agitée que son double, Subra, est impatiente d'écouter à nouveau. Ce recours au dialogue intérieur est une clé du livre, mais il n'est pas impossible que le procédé finisse par lasser. Sous ces anecdotes très intimes perce sans doute le féminisme particulier de l'auteure : donc une lecture à compléter par celle de "Reflets dans un œil d'homme".

Tandis que Simon et Ingrid ratent avec application la visite des Offices, du couvent de Fra Angelico, et des tours de Sienne et de San Gimignano, Rena reste suspendue au téléphone pour avoir des nouvelles de son jeune amant et collègue photographe : Aziz est perturbé par la révolte des banlieues de 1995 et il voudrait qu'elle rentre au plus vite d'Italie. La catastrophe se précise quand des voleurs s'emparent du sac à dos de Rena contenant son Canon, son portable et sa carte de crédit.

Courant d'un mardi à l'autre, "Infrarouge" est divisé en autant de journées que ces touristes passent au pays des Médicis. Du vocabulaire italien en scande les temps forts : Pitti, putti, fuoco, paradiso... et l'on va jusqu'à oser des jeux de mots bilingues. « Gaia [tenancière des chambres d'hôte] a deviné qu'Ingrid n'était pas la mère de Rena ; c'est avec douceur qu'elle lui pose la question redoutée entre toutes : "Dove è la vostra vera madre ?" Ça lui coupe les jambes. Soudain incapable d'aligner trois mots en italien, Rena répond simplement : "Partita".  Subra approuve. Elle est belle comme ça, Me Lisa Heyward, dit-elle, en morceau de musique.» Enfin Nancy Huston ne se prive pas de l'arme de l'ironie quand son héroïne québécoise s'en prend à la religion ou quand elle est injustement traitée : « On voit bien que tu es américaine ! a dit Xavier qui savait à quel point les Canadiens détestent être assimilés à leurs voisins du Sud. Tu as la naïveté niaise des Américains, leur absence de culture, d'histoire, de profondeur — en un mot leur superficialité, leur arrogante ignorance et si tu lisais un peu, tu saurais que…» Il faut préciser que ce Xavier est un intellectuel parisien que Rena a fait fuir, si l'on peut dire, à coup de règles... Bonne lecture !

 

• Nancy Huston : Infrarouge. Actes Sud, 2010, 308 pages.

Lu par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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