Madrilène de naissance, Michel del Castillo constate quelque part dans ce livre qu'en histoire la mode actuelle est à la longue durée qui omet le rôle des personnages illustres. Aussi choisit-il tout le contraire pour ce "Dictionnaire amoureux", avec une préférence marquée pour les chefs célèbres des royaumes musulmans d'Al Andalous, les Rois Catholiques ou encore Charles-Quint. Avec Albeniz, de Falla pour la culture musicale, avec Cervantès, Lorca ou Gongora pour la culture littéraire, avec Unamuno et Ortega y Gasset du côté des essayistes... Les figures tirées de l'histoire et de la fiction comme le Cid, don Quichotte ou la Célestine de Rojas permettent de rendre hommage à une culture classique chère à l'auteur. Il analyse avec pertinence le rôle novateur qu'eut le "Don Quichotte" de Cervantès : l'invention du roman moderne. Néanmoins l'époque la plus contemporaine émerge très modestement, avec le seul Almodovar. En dehors des hommes illustres, peu de femmes : Thérèse d'Avila bien sûr — mais classée à Avila pas à Thérèse !
• Autant dire qu'on est assez loin d'un guide de voyage aguichant — exception faite d'un coup de chapeau pour Barcelone, qualifiée d'unique métropole du pays, autrefois victime du choix de Séville pour exploiter la Découverte —du Nouveau Monde— puis victime de l'arrogance madrilène contre une cité trop joyeuse et anarchiste. Sa situation géographique est une entorse au principe de dualité qui traverse ce "Dictionnaire amoureux" : opposition entre le Sud riche de son héritage arabo-musulman, de son architecture, et de son soleil... et le Nord sombre, étroitement catholique, aux hidalgos austères enracinés en vieille Castille, terre marquée encore par l'esprit de la Reconquista et de la "limpieza de sangre". Si l'esprit catalan est présenté positivement, la dimension basque est minimisée, réduite au seul aspect, négatif, de l'ETA vivant du racket. L'auteur se plait à arpenter l'Albaïcin, à s'imaginer au cœur de la Cordoue omeyyade, ou à Tolède au temps d'Alphonse X, parmi les Juifs qui ont relayé vers l'Europe chrétienne les trésors des cultures gréco-romaine puis arabo-musulmane. Finalement c'est une Espagne à la fois intellectuelle et nostalgique que propose Castillo, sans beaucoup d'égard pour la "movida" post-franquiste.
L'Escurial
• Le thème sans doute le plus caractéristique est celui de la douleur qui jaillit de siècles de passions et de violences. Un fil rouge relie les exactions des pouvoirs de toutes les époques : pratiquées par les conquérants maures fanatiques (Almohades, Almoravides), par les chevaliers de la Reconquista, par les Rois Catholiques expulsant les Juifs en 1492, par Philippe III déportant les Morisques en 1610, violences de l'Inquisition, violences de la guerre contre Napoléon, puis des guerres carlistes du XIXe siècle, plaie rouverte enfin par Franco en 1936-39 et les années de répression d'après-guerre. La liste n'est pas exhaustive. La douleur —à quoi on répond par le cri ou résiste par l'honneur — imprègne la culture savante comme la culture populaire : les poésies de Lorca, le flamenco des Gitans, les tableaux du Greco et de Goya, les combats de Manolete ou Ordoñez sur la plaza de toros... On bâillonnait les condamnés au bûcher : l'autodafé était un spectacle horrible donné par des inquisiteurs qui avaient passé des années d'études juridiques ! Les « bonnes âmes » d'aujourd'hui veulent seulement interdire la corrida.
Grenade et la sierra Nevada
• Michel del Castillo - Dictionnaire amoureux de l'Espagne. Plon, 2005. 408 pages.