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Nous voici dans le monde des Sépharades — un terme que l'auteur n'utilise pas. Connu pour une vaste fresque des relations entre Juifs et Arabes depuis le VIIe siècle il s'intéresse ici à une période cruciale pour les Juifs d'Afrique du Nord : l'époque où le maréchal Pétain dirige à Vichy un régime antisémite et collabore à la shoah. L'auteur dresse d'abord un tableau de la situation des Juifs avant 1940, en tenant compte des différences entre les trois territoires. Il étudie ensuite ce que le régime de Vichy leur a fait subir, puis comment se déroula leur libération.

• Les Juifs d'Algérie sont devenus citoyens français par le décret Crémieux de 1870, qui neAbitbol Vichy concerne pas leurs cousins du Maroc et d'Algérie. Il en résulte une situation particulière en Algérie où les Européens se livrent souvent à un antisémitisme violent contre ces concurrents en citoyenneté. Rédacteur en chef de L'Antijuif, Max Régis fut en 1898 l'un des quatre députés antisémites que l'Algérie envoya siéger à Paris. En 1934, des affrontements entre juifs et musulmans eurent lieu dans toute l'Afrique du Nord, suite au congrès panislamique de Jérusalem et de la crise économique. En août 1934 le bilan fut très lourd à Constantine, où Emile Morinaud avait été le grand instigateur de l'antisémitisme dès le tournant du siècle ; il y eut 27 morts dont 24 juifs. Bientôt, en réaction contre le Front populaire, les partis de la droite extrême s'enflammèrent : Actions française, PPF — Doriot passa à Alger en mai 38 —, PSF, mais aussi le Faisceau représenté à Alger par René Barthélémy, directeur du journal Libre Parole. Ces extrémistes proposaient diverses mesures antijuives, très proches de ce que Vichy réalisera à commencer par l'abrogation du décret Crémieux. Par ailleurs, la propagande nazie et fasciste présentait les Juifs du Maroc et de Tunisie comme les agents de la domination française et poussait les musulmans à l'antisémitisme. Une marque de cigarettes, désirant promouvoir ses ventes parmi la population musulmane, eut l'idée de dessiner la croix gammée sur les paquets de ses cigarettes...

• Le régime de Vichy se signala par tout un catalogue de mesures antisémites qui furent bien accueillies par nombre de pieds noirs. « La phraséologie raciste mise à part, il n'y avait pas en effet une seule mesure antijuive (…) qui n'eût été envisagée et préconisée par les maîtres à penser de l'antisémitisme algérien, de Max Régis au Dr Molle et à l'abbé Lambert.» L'Afrique du Nord comptait quatorze millions d'habitants, dont 1 200 000 Européens et 400 000 juifs, essentiellement dans les villes (En annexe, reproduction de deux cartes, fondées sur les données de 1931, et montrant la proportion des juifs dans les villes du Maghreb). Le régime de Vichy abolit donc le décret Crémieux (7 octobre 1940) et appliqua les statuts des juifs de 1940 et 1941 : il n'y eut que quelques différences dans les détails de leur application entre les trois territoires. Vichy organisa le recensement et mit en place le numerus clausus — là encore avec certaines différences entre les trois territoires. Le recteur d'Alger, Georges Hardy (connu aussi pour une "Histoire de la colonisation française", Paris, Larose, 1943) y ajouta même un numerus clausus de 14 % pour le second degré, réduit à 7 % pour l'année scolaire 1942-1943. Les Juifs organisèrent alors des cours privés et on commença à voir se multiplier les cours d'hébreu moderne. Vichy entreprit l'aryanisation de l'économie sans qu'elle soit achevée au moment du débarquement allié de novembre 1942. En Tunisie, l'amiral Estéva fit si peu de zèle pour appliquer ces lois que Radio-Stuttgart le qualifia d'ami des juifs tandis que la commission italienne d'armistice opérant en Tunisie s'opposa à l'application des lois raciales de Vichy aux cinq mille Juifs "livournais" de nationalité italienne — un paradoxe puisque Mussolini avait élaboré une législation antijuive en Italie dès 1938. Par ailleurs des réfugiés juifs, venus de Marseille ou d'Espagne en rapport avec la Hicem ou le "Joint", affluaient pour rallier les Etats-Unis. Alors que jusqu'en mai 1941 des navires embarquaient des réfugiés à Marseille pour la Martinique, ce trafic fut interrompu par la capture du Winnipeg par la marine britannique. La Hicem affréta alors des bateaux portugais qui faisaient escale à Casablanca jusqu'à ce qu'en juin 1942 Vichy l'interdise sous la pression de Berlin. On interna les réfugiés dans des camps, ils y rejoignirent des juifs qui s'étaient engagés dans l'armée et qui en avaient été rejetés. Ceux-ci se retrouvèrent entre autres dans les camps de travail situés à proximité de l'axe ferroviaire transsaharien projeté entre Colomb-Béchar et Gao. Seul le camp de Berguent (cf. Ain Benimatthar, au Maroc) qui comptait 400 détenus à la veille du débarquement allié avait des effectifs uniquement juifs (Voir aussi la carte de ces camps de travail forcé au Sahara).

L'opération Torch ne mit pas fin du jour au lendemain aux persécutions des Juifs d'Afrique du Nord. D'une part les autorités de Vichy furent d'abord ménagées par les Américains au grand dam des groupes de résistants juifs prêts à les accueillir en libérateurs : au Maroc par exemple l'homme de Vichy, le général Noguès fut maintenu en place. Puis les Allemands débarquèrent en Tunisie et réquisitionnèrent des juifs pour les aider à diverses tâches. De novembre 1942 à mai 1943, les Juifs tunisiens furent ainsi exploités et victimes d'extorsions de fonds. Quelque 5 000 Juifs de Tunis connurent le travail forcé et le régime des camps. Les communautés juives de Tunisie firent preuve d'une grande solidarité devant l'épreuve —qui parut modérée quand commencèrent à parvenir des informations sur la shoah. Les discours de Roosevelt anticipèrent quelque peu la libération effective des juifs d'Afrique du Nord. Les pires exactions contre les Juifs des "mellah" du Maroc, à Rabat, Casablanca, Meknès et ailleurs, eurent lieu les 11 et 12 novembre 1942. D'autres violences suivirent en 1943 et 1944. Un décret de Giraud mit fin aux lois antijuives de Vichy et il ferma les camps par ordonnance du 28 avril 1943 ; mais il ne rétablit pas le décret Crémieux. Il fallut attendre pour cela le 20 octobre 1943, de Gaulle ayant remplacé Giraud à Alger.

• On peut espérer que les jeunes Français ne confondront plus, parmi les rapatriés des années 1956-1962, les Juifs avec les Pieds-Noirs. C'est un travail intéressant qui précise bien l'antisémitisme qui existait en Afrique du Nord, mais on aimerait qu'il soit plus précis sur les personnes envoyées dans les camps de Vichy en 1941-1942, et surtout qu'il envisage quelque peu les conséquences de ces événements au-delà de 1944-45. On sait que l'émigration vers Israël (alya) sera importante, et que l'émigration juive sera accélérée par le nationalisme, notamment marocain. D'ailleurs l'auteur vient de publier une Histoire du Maroc (Perrin, 2009).

Michel ABITBOL

Les Juifs d'Afrique du Nord sous Vichy

Riveneuve éditions, 2008, 263 pages.

 

 

Tag(s) : #ISRAEL et MONDE JUIF
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