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Dans le village suisse dont le héros est originaire, beaucoup de garçons furent baptisés Maurice en relation avec l'œuvre célèbre d'un peintre local : Maurice mit Huhn !maurice-a-la-poule-09.jpeg "Maurice à la poule". Si l'on ne dispose que de l'édition Points, il faut atteindre la page 201 pour enfin comprendre le titre du livre.

Troisième fils du peintre suisse Albert Anker (1831-1910) – dont le nom n'apparaît pas dans le roman –, le jeune Maurice a été immortalisé par son père en 1877 ; ce tableau réaliste a servi d'illustration de couverture du roman publié aux éditions Zoé (Genève, 2009), excellente traduction par Patricia Zurcher de l'original allemand publié par l'éditeur zurichois Ammann. La collection Points a préféré une image féminine destinée à idéaliser la violoncelliste à qui Maurice déclara : « Je vous ai trouvée à présent et je vous prie de donner un sens à la suite de ma vie.» En fait il n'a pas réellement rencontré la violoncelliste… Il ne s'agissait que de rêvasseries produites par la musique entendue à travers le mur du bureau. Mais il est clair que l'anti-héros devenu berlinois n'est pas très à l'aise dans une vie solitaire qui lui paraît « peu sensée » : la rédaction de cet étrange roman s'emploie à nous le prouver.

En conséquence il n'y a pas d'action constructive et on repasse sans cesse par la case tristesse, celle du bureau de Maurice, sans que les choses avancent. À la fin du livre il s'excuse de ne pas avoir répondu à l'invitation de son ami Flavian évoquée dès les premières pages. L'intérêt du lecteur me semble donc plutôt à trouver dans le portrait d'un homme assez terne pas très satisfait de sa vie, qui rêve qu'il lui arrive quelque chose de bien : « Nous voudrions sortir du labyrinthe, nous voudrions avoir un destin, une histoire, un bon gros fil rouge, que dis-je, une amarre qui soit solide et qui tienne.» Mais Maurice ne fait rien pour. Son activité professionnelle est de tenir un "bureau de communication", de se charger « des correspondances avec l'administration et d'autres services officiels pour ses concitoyens étrangers et défavorisés sur le plan de l'orthographe.» En somme une sorte d'écrivain public, mais qu'on ne voit jamais à la tâche. Qu'il exerce cette profession est complétement paradoxal puisqu'on ne voit jamais Maurice à l'aise pour communiquer avec les autres, qu'il s'agisse de ses amis, Flavian ou Hamid qu'il ennuie avec le récit du nettoyage des vitres de son bureau, qu'il s'agisse des commerçants du quartier, ou même de son amie.

Parmi les différents thèmes abordés, dans des digressions parfois déroutantes, le drame de la vieillesse, notamment des parents de Maurice, est réellement poignant. Mais le passage de quelques pages sur la paresse, renforcé lui aussi de citations bibliques, devrait faire l'unanimité et la joie des lecteurs. La paresse de Maurice se situe au niveau des petits gestes de tous les jours. « Au petit-déjeuner, on laisse sa cuillère à café inutilisée à côté de sa tasse pour ne pas devoir la laver après ; on remue avec son couteau. On ne va plus à la poste pour expédier une lettre ; on attend qu'une seconde vienne s'y ajouter, puis une troisième, afin que le trajet jusqu'à la poste en vaille la peine.» Sa paresse d'homme déglingué est également intellectuelle : « Ses pensées, il ne peut pas les suivre. Elles passent, le voient somnoler, le laissent en paix et poursuivent leur chemin. Il n'est pas capable de retenir l'une d'elles. Elles sont trop rapides.» Les choses l'intriguent certes, mais il laisse courir : le "Bar à films de Jacqueline", il n'ose pas y mettre les pieds, comme il n'ose pas demander à M. Glück le propriétaire de l'immeuble s'il y a un locataire musicien, question qui pourtant le turlupine.

Cette façon de laisser tomber que l'on trouve chez Maurice n'est tout compte fait que le reflet du quartier déchu où il travaille. L'espace quotidien de Maurice est bien loin des brillantes opérations immobilières de la Potsdamer Platz, c'est un reste de vieux logements collectifs plutôt mal entretenus, avec des boutiques peu attrayantes et qui ferment. Devant cette impuissance qu'incarne Maurice, j'ai pensé tout naturellement au monde de Samuel Becket. — À moins qu'une référence à "L'Homme sans qualités" de Musil soit davantage fondée ? Qu'en dites-vous ? 

Matthias ZSCHOKKE. Maurice à la poule. Zoé, 2009 et Points, 2010, 254 pages.

(Prix Schiller 2006 et Femina étranger 2009)

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE
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