Œuvre emblématique de Marcel Jouhandeau, « Chaminadour » a été publié en deux livraisons, 1934 et 1941, réunies en un volume en 1953. Je dis « livraisons » parce que cela consiste en brassées de petites histoires brûlantes, historiettes si l’on veut, textes brefs, de quelques lignes à quelques pages, qui en disent beaucoup sur le microcosme lointain de Chaminadour.
Cette France lointaine, c’est celle du tout début du XXe siècle, quand le gouvernement Combes s’en prenait aux congrégations des religieuses, ces femmes que l’auteur considère avec plus de sympathie que les paysans, les commerçants et les notables de Chaminadour. Jouhandeau s’inquiète aussi du sort des curés de campagne plus que des poilus de 14-18 entr’aperçus en fin de seconde partie.
Tel un entomologiste, l’auteur s’empare de sa loupe et d’une pince pour sortir un à un ses contemporains de leur environnement creusois. Il contemple ces êtres avec étonnement, ironie et souvent avec cruauté. On sait bien que Chaminadour c’est son Guéret natal. On doit plutôt y voir une quintessence de petite ville et des villages alentour. Le professeur qu’il fut à Passy, et qu’on imagine faire l’appel de ses élèves, dresse ici l’inventaire de ses compatriotes pour les distinguer par leurs défauts, distribuant les mauvais points.
Certes, leurs défauts sont innombrables : ils sont égoïstes, avaricieux, jaloux, ignorants, stupides, bigots, etc. Aussi vient à l’esprit que ce sont les « Caractères » de La Bruyère que Jouhandeau nous ressert à sa mode ; mais les personnages de Jouhandeau sont tous nommés, réunis en une sorte d’annuaire provincial des désastres possibles.
« Ignace rentrait-il après de longues absences, c’était toujours en coup de vent et il cherchait tout de suite sa femme des yeux pour lui faire un reproche, même s’il ne la prenait pas en faute. »
« Je n’ai vu que dans cette famille le père et la mère, d’assez pauvres gens, vivre comme des empereurs au milieu de leurs enfants, réduits autour d’eux en servitude. »
Ces histoires grimaçantes laissent parfois place à l’humour grinçant et très rarement se font l’écho d’une répartie gentille ou poétique. Elles dévoilent en somme tout autant le caractère acariâtre de Jouhandeau, connu pour ses querelles chroniques avec son épouse Elise, que le vrai visage de la France profonde.
• Marcel JOUHANDEAU. Chaminadour
Gallimard, édition en un volume de 1953, 294 pages. Rééditée en 1968 et 1988.
• Un volume de la collection « Quarto » de 2006, préfacé par Richard Millet, regroupe «Chaminadour » avec plusieurs autres titres.