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Mokkedem-Desirante.jpegCe nouveau roman de Malika Mokeddem n'est pas sans rappeler "Je dois tout à ton oubli", paru en 2008. On y retrouve la même sensibilité à la nature, à son Algérie natale, à la violence des rapports humains ; et si la Méditerranée se substitue au  désert, l'errance et le regard décalé sont toujours convoqués. Mais cette fois la romancière se risque à l'intrigue policière ; Shamsa, journaliste d'un quotidien algérien échouée à Montpellier, vit en couple avec Léo Lang, directeur au CNRS. En octobre 2008 il disparaît alors qu'il ramenait son voilier, "Vent de Sable". Après huit mois d'enquêtes policières infructueuses, intuitivement certaine que Léo n'est pas mort, Shamsa entreprend seule sa première traversée : "c'est à moi de prendre le relai des recherches". Son odyssée méditerranéenne met à l'épreuve son courage autant que sa résistance… Malika Mokeddem multiplie péripéties et coups de théâtre, confronte "gentils" – Simon, Mansour, Nabil– et "méchants" – Bertrand le traître, Youcef l'intégriste… Au fil du récit elle inscrit de plus en plus fortement l'intrigue dans l'actualité, faisant large place aux "harragas" – les immigrés clandestins de Lampedusa –, au terrorisme algéro-libyen, aux trafiquants d'armes et de drogue…

Le roman vaut par le couple qui lui confère sa dynamique : M. Mokeddem joue habilement des contrastes entre l'errance et le voyage, le désert et la mer, la haine et l'amour. Avant de déposer subrepticement à l'arrière d'un camion le couffin contenant le nourrisson, sa mère y a glissé un billet: "Elle est née dans la nuit, sauvez-la s'il vous plaît". Message reçu ; les religieuses qui l'ont recueillie l'ont prénommée ; Sœur Blanche, sa mère de substitution, l'a élevée et lui a payé ses études ; devenue journaliste, Shamsa enquêtait sur les disparitions dans l'Algérie sanglante des années 90, dont l'auteure elle-même porte le traumatisme. La violence de l'obscurantisme intégriste et la misère l'ont poussée à l'exil. Cette "fille du désert", véritable cavale fougueuse rétive à toute contrainte comme à tout attachement, connaît alors le coup de foudre, par "Vent de sable" interposé. Léo, "le fou du désert" lui transmet sa passion pour la mer et les dunes infinies dont elle a tant peur –"la mer est mon désert"–. Mais cette relation ne va pas de soi pour Shamsa la sauvage :"j'ai appris la nécessité de l'amour" confie cette Désirante après avoir regimbé devant les parents de Léo, bourgeois fortunés, devant sa belle-mère, trop intrusive à son goût : car entrer dans une famille entravait sa liberté. Par amour, elle se laisse peu à peu apprivoiser ; la disparition de Léo, le désarroi et l'anxiété partagés l'amènent à apprécier ces liens familiaux. La puissance de son amour, l'épreuve psychologique et physique permettent à sa forte personnalité de donner enfin un sens à son existence.

On sait l'engagement de Malika Mokeddem contre l'intégrisme islamique, contre tous ceux qui entravent l'espoir de liberté démocratique au Maghreb, contre tous ceux qui maintiennent les populations dans l'ignorance et la misère. On saisit bien le poids des conflits nord-sud lorsque le couple mixte d'une "moricaude" et d'un "mécréant" ne peut se montrer qu'en Tunisie, par exemple. Mais la romancière n'a pu s'empêcher d'y ajouter la dénonciation du panarabisme, du régime de Ben Ali… Elle n'évite pas toujours l'émotionnel épidermique et facile. C'est dommage car le récit s'en trouve alourdi et le style s'y noie. On préfère retenir les clartés de l'aube qui "froissent la nuit et finissent par infiltrer la mer", avant qu'au crépuscule les lueurs des phares n' "habillent d'une résille de lumière l'encre de la mer". Des îles grecques à la Sicile, de Reggio de Calabre au rivage tunisien, merci pour le voyage!


• Malika MOKKEDEM - La Désirante.  Grasset, 2011, 237 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #TUNISIE, #ALGERIE
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