En publiant cet essai en 2004, l'anthropologue Malek Chebel entendait contribuer à réformer l'islam en montrant les blocages que lui inflige l'idéologie conservatrice musulmane. Il ne s'en prend pas à la croyance mais à son application sociale et dénonce sa manipulation à des fins politiques. En revanche, "l'islam des Lumières" associe la lumière de Dieu à celles de la raison, dans l'esprit des principes fondateurs de la religion musulmane, la tolérance et le respect — présents au 10°s. en Espagne, au 18°-19° dans tout l'Orient —, avant que les fondamentalistes ne les détournent. Il y a sept ans déjà, ce "Manifeste" voulait accompagner, grâce à ses vingt-sept propositions, une réforme en marche selon Chebel, celle de la modernisation de la société musulmane. D'ailleurs, Le Coran ne s'y est jamais opposé, qui conseille d'adapter l'islam à chaque époque. La difficulté tient à l'absence de clergé et d'état de droit en civilisation musulmane : la foi tient lieu de loi, plus encore sous le diktat des islamistes, minorité politisée très efficace dans la vie socio-économique. Ils manipulent les musulmans les moins instruits, leur inculquent le rejet de toute modernité, diabolisée car occidentale, et les maintiennent dans une conception obsolète d'un islam "pur" et originel.
C'est pourquoi Malek Chebel défend, dès 2004, la nouvelle interprétation des Textes, apte à fournir des réponses aux problèmes actuels des musulmans, et compétente pour écarter les préceptes coraniques inadaptables au temps présent. Cette nouvelle lecture introduit enfin dans la pensée musulmane l'esprit critique qui lui a toujours fait défaut : dans les écoles religieuses, on fait apprendre les textes sacrés sans faire réfléchir à leur signification. Ainsi pourra-t-on "remettre l'homme au coeur du dispositif social" : Chebel plaide pour l'équité entre musulmans, pour une justice indépendante des pouvoirs politique comme religieux, surtout pour la liberté de conscience et de pensée : c'est la seule voie vers l'autonomie de chaque musulman sujet, responsable de ses choix, et non conditionné par les seuls impératifs religieux. Ce sera l'ouverture à la tolérance, au respect de l'autre et des droits de l'homme. Mais cet Islam des Lumières n'est réalisable que si l'on impose la sécularisation de la société musulmane, que si l'on instaure, pour Chebel, la démocratie. Dès lors qu'aura été transformé le statut de l'homme, celui de la femme y gagnera : elle ne sera plus instrumentalisée comme "une mineure à vie". Restera encore à lutter contre la pauvreté et l'analphabétisme, qui font le lit des fondamentalistes ; et surtout à intégrer par le travail tous les jeunes, porteurs d'esprit critique et assoiffés de changement.
En Janvier 2011, le printemps arabe est venu illustrer la justesse des propos de Malek Chebel : aucun pouvoir dictatorial ne peut résister longtemps à la détermination populaire et solidaire des jeunes. L'adaptation au temps présent est en route, car la modernité ne saurait nuire à la foi. Il reste à souhaiter que les nouveaux gouvernements qui vont s'organiser sachent tirer profit des précieuses propositions de Malek Chebel.
• Malek CHEBEL : Manifeste pour un islam des Lumières. Fayard/Pluriel, 2010, 215 pages.