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Orcel-Immortelles.jpg    Ce premier roman ne manque pas d'originalité. Makenzy Orcel, jeune auteur haïtien, égrène en de courts textes poético-tragiques les voix des prostituées disparues lors du séisme du 12 Janvier 2010. Une tenancière anonyme —« une pute n'a pas de nom pour les clients »—, raconte à l'écrivain, également sans nom, en échange de son corps, leur vie avant « la chose » : à lui de trouver, par empathie, la formulation juste pour « rendre vivantes, immortelles » autant Géralda qu' Emma, Fedna, Shakira surtout, « la pute la plus belle et la plus courtisée…» Sexe et religion, agonie et amour entremêlés au delà de toute morale, M.Orcel rend hommage à ces filles de joie, corps à vendre et coeurs attachés…

      Pragmatique, lucide, la prostituée se vit comme une « charogne, une chienne » payée pour donner du plaisir aux clients, « ces bêtes immondes », sans se poser de questions : « une prostituée n'est pas faite pour réfléchir », et « n'a pas le temps de tomber amoureuse »: « l'oppressé souffre, l'oppresseur jouit ». Mais tout a changé pour elle il y a douze ans, quand elle a accueilli cette gamine de douze ans, Shakira. Fuyant sa mère, bigote soumise aux violences paternelles, ivre de liberté, elle croyait qu'être prostituée c'était être libre… Tandis qu'elle agonise sous les décombres elle charge la tenancière de retrouver son fils… Cette mère de substitution culpabilise : elle a appris à Shakira à « bien putasser », mais elle a échoué à « offrir bien », à aider Shakira à réussir, elle qui aimait tant « ces putains de livres » que la maquerelle jugeait nuisibles à une prostituée : écrits par « des déglingués, ces grands écrivains » et juste bons « pour ceux qui n'ont rien à faire ». Au lendemain de la tragédie, sans espérance à attendre des « racontars » de la religion, de ce Dieu sauveur ou vengeur selon l'intérêt de chacun, le goût de l'échec, l'amertume du chagrin torturent cette voix abandonnée. Pourtant le séisme l'a transformée en lui révélant la force de l'amour maternel d'une prostituée pour son « caca-sans-savon », son enfant de père inconnu ; en la sensibilisant au pouvoir de l'écriture car « les personnages des livres ne meurent jamais ».

    Makenzy Orcel s'emploie joliment à arracher à l'oubli les putes de la Grand-Rue. Qu'il en soit de même pour son premier roman!

 

• Makenzy Orcel : Les Immortelles. Zulma, 2012, 133 pages.

 

 

Tag(s) : #ANTILLES - CARAIBES, #HAÏTI
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