Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La romancière new-yorkaise Lynne Sharon Schwartz a regroupé des essais et des entretiens de journalistes ou essayistes — américains d'origine ou de formation — avec W.G. Sebald. J'essaie ici de regrouper citations et notes de lecture.

      • L'usure du temps

« Son thème favori, écrit L.S. Schwartz, est l'épanouissement rapide de chaque entreprise humaine, quelle qu'elle soit, et sa longue et lente agonie,   du fait de la destruction naturelle ou du fait de la destruction par les mains de l'homme, lequel laisse derrière lui non seulement une profusion de ruines qui invitent à de longues méditations mais encore une indicible souffrance.»

D'où les mentions de flammes, de cendres, de poussières, de toiles d'araignée (cf. L'anneau de Saturne") ou de peinture grise dans la maison d'Austerlitz.

Sebald raconte à Eleanor Wachtel une expérience vécue, sur la poussière justement : «… j'avais rendu visite à un éditeur à Londres. Il vivait à Kensington. Il avait encore une affaire à régler lorsque je suis arrivé et son épouse m'a fait monter dans une sorte de bibliothèque tout en haut de cette très grande et très haute maison mitoyenne. La pièce était remplie de livres, et il y avait une seule chaise. Et il y avait de la poussière partout, elle s'était installée au fil des années, recouvrant tous ces livres, le tapis, le rebord de la fenêtre, et ce n'est qu'entre la porte et cette chaise où vous vous asseyiez pour lire qu'il y avait un chemin, comme un chemin dans la neige, vous savez, usé, où on voyait bien qu'il n'y avait plus de poussière parce que, de temps en temps, quelqu'un allait jusqu'à cette chaise, s'y asseyait pour lire. Et je n'ai jamais passé un quart d'heure plus serein que là, assis sur cette chaise. C'est cette expérience qui a fait naître en moi l'idée que la poussière a quelque chose de très, très paisible.» Dans "Les émigrants" le peintre Max Ferber multiplie les couches de peinture puis les gratte, et recommence, créant de la poussière de peinture.

      • Les morts, la guerre mondiale et le pays natal

La fascination de l'auteur pour les disparus remonte à celle de son grand-père, son compagnon de marche, note Arthur Lubow. « …la mort est entrée très tôt dans ma vie…» confirme Sebald à Eleanor Wachtel. Né avant la fin de la guerre mondiale, il reproche à la génération de ses parents, à ses professeurs, de ne pas tout dire sur l'époque, le génocide ou les bombardements des villes allemandes. Sebald cultive la suspicion que quelque chose lui a été caché. « Mon père a fait la campagne de Pologne, dit-il à Carole Angier, et il ne peut pas ne pas avoir vu un certain nombre de choses.»

Carole Angier souligne sa difficulté à supporter le pays natal. D'où l'émigration en Angleterre et l'intérêt pour les émigrés dans ses œuvres. « Le point de départ des Emigrants est un appel téléphonique de ma mère qui m'informait du suicide de mon ancien instituteur [Paul Bereyter] à Sonthofen » dit Sebald à Carole Angier. Et puis « …ma mère a été littéralement mortifiée à la lecture d'un certain nombre de détails sur des familles de notre village.»

Charles Simic revient sur la position de Sebald en ce qui concerne les bombardements alliés sur les villes allemandes (cf. "De la destruction…", et "Campo Santo"); il note qu'Enzensberger l'a également abordée en 1990 dans "L'Europe en ruines". Durant cette guerre, l'écrivain et résistant autrichien Jean Améry — de son vrai nom Hans Meyer — a été torturé par la Gestapo. Un essai lui est consacré dans "Campo Santo".

      • Le voyage à pied, le goût du passé et la mémoire

Ruth Franklin remarque, à propos de la 3è partie de "D'après nature", que Sebald ne dit jamais pourquoi il effectue ses voyages. Sebald voyage peu en avion, beaucoup plus en train et surtout à pied. « Il raillait la frénésie de voyages de ses contemporains » note Arthur Lubow. « Pour moi, dit-il à Eleanor Wachtel, aller à Rio de Janeiro ou à Sydney est quelque chose d'inconcevable. Vous ne réussirez pas à m'y entraîner. Le simple fait d'être là aujourd'hui en Amérique me paraît extrêmement étrange.» Il dédaigne le progrès technique récent et est le seul professeur de son université à ne pas utiliser d'ordinateur. Tim Parkes estime que Sebald crée une « atmosphère délibérément passée de mode…» comme il ressort des tableaux de bûcherons du peintre Hengge dans "Vertiges" et ironise sur « le seul [homme] qui soit capable d'étudier un vieux manuel d'italien plutôt que de saisir l'opportunité de converser avec deux jolies femmes…» — toujours dans "Vertiges".

« Le narrateur sébaldien est un arpenteur » dit L.S. Schwartz. « Où qu'il aille, rues et routes sont étrangement désertes et dépeuplées. Il est victime d'hallucinations, il croit apercevoir les silhouettes furtives de personnages surgis de l'histoire.»

Interrogé par E.Wachtel sur Grünewald, Sebald rappelle que c'est un peintre : « dont hormis ses peintures, nous ne connaissons quasiment rien. Et c'est ce vide, cette ignorance et le peu de faits dont nous disposons qui ont suffi pour que je m'introduise dans son territoire, que je regarde autour de moi et que, au bout d'un certain temps, je me sente comme chez moi. Cela m'intéresse beaucoup plus que le présent.»

Ce goût du passé va de pair avec les considérations sur la mémoire — comparée dans "Austerlitz" au révélateur du laboratoire photographique. Si le négatif photographique y reste trop longtemps, le document devient illisible. Evoquant les vers libres de "D'après nature" Ruth Franklin en vient ainsi à l'utilisation du tableau d'Altdorfer : « Pleurant la perte d'un souvenir qu'il n'a jamais eu, Sebald voit en Altdorfer un substitut. Quand la mémoire fait défaut, l'art y remédie …» Il s'agit de l'incendie de Nuremberg vu par sa mère enceinte de lui, qu'il retrouve en voyant le décor tragique du tableau "Loth et ses filles". 

Parce qu'il vit et travaille en Italie, Tim Parkes s'intéresse surtout à "Vertiges". Il développe en particulier la question des coïncidences : par exemple la date où Casanova s'évade des Piombi et devient Seingalt, « le 31 octobre est le jour précis où notre auteur se trouve à Venise.» Cette œuvre en présente d'autres exemples avec le déjeuner à la pizzeria de Vérone ; voir le compte-rendu de "Vertiges".

      • L'écriture sébaldienne

Selon Michael Silverblatt, la phrase sébaldienne est caractérisée par l'hypotaxe. « Comment avez-vous fait pour réinventer de telles phrases ? Elles ne sont pas de notre époque.» Silverblatt poursuit : «Les méandres de votre prose, à la fois en termes de syntaxe et en terme de sujets, me rappellent un peu celui qui est, de tous les essayistes anglais, mon favori, je pense à De Quincey : ce besoin, d'une certaine manière, de passer d'un centre d'intérêt à un autre à la façon d'un somnambule et de faire croire au lecteur que c'est lui qui, dans un état hallucinatoire, a établi le lien entre les fragments.»

Catalogué comme disciple de Th. Bernhard, Sebald s'explique sur son modèle : « une fois qu'on vous a attribué ce genre d'étiquette, elle ne vous quitte plus. […] Ce que Th.Bernhard a apporté à la littérature d'après-guerre en langue allemande, c'est une radicalité nouvelle inconnue jusque-là exempte de toute compromission.[…] Il a réussi à s'éloigner du roman classique. Dans ses livres, il ne vous dit que ce que les autres lui ont dit. Il a donc inventé, en quelque sorte, une forme de narration qui démultiplie les voix.» C'était « une nouvelle forme narrative qui m'a plu tout de suite » confie W.G.Sebald.

Tim Parks souligne « la prose extraordinaire de cet écrivain, sans laquelle les intrigues tortueuses et les incessantes ruminations ne seraient qu'intelligentes et déstabilisantes. (…) De Thomas Bernhard il a le goût du superlatif alarmiste, la tendance à décrire des états de confusion dévastatrice (…) mais le trait est beaucoup plus léger…» que chez l'Autrichien.

« Qu'il rende visite à un vieil ami ou qu'il se contente de l'évoquer, il nous raconte l'histoire du vieil ami en question, une histoire qui ressemble à la sienne et d'une voix qui a les résonances de la sienne. Tous les personnages de Sebald ont la voix du narrateur » dit encore L.S. Schwartz.

Pour conclure sur cet auteur-culte, je reprendrais volontiers la formule d'Arthur Lubow : « Ses livres sont comme une Wunderkammer du XVIIIe siècle, emplie de merveilleux spécimens présentés de façon insolite.» 

 

• Lynne Sharon SCHWARTZ  - L'Archéologue de la mémoire. Conversations avec W.G. Sebald.  Actes Sud, 2009, 187 pages. Traduit par Delphine Chartier et Patrick Charbonneau.

 

Compléments :

- Ouvrage de Martine Carré, "Sebald, le retour de l'auteur", PU Lyon, 2008, 320 pages dont on peut lire l'introduction ici.

- Sur le thème de la mémoire, voir aussi l'article de Gloria Origgi "Mémoire narrative, mémoire épisodique" dans "Fabula.org". La requête "Sebald" donne d'ailleurs de nombreuses réponses sur ce site "Fabula.org".

- Le site internet du Guardian offre des vidéos et une longue liste d'articles sur les œuvres de W.G. Sebald.

 

 

  

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :