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monsieurPremier volume du Quintet d'Avignon, Monsieur ou le Prince des ténèbres est un roman difficile et exigeant pour le lecteur et sa forme peut dérouter. — Courage, lecteur ! Mille pages suivront, dont les principaux thèmes apparaissent déjà.

 

Pour commencer : Bruce se rend à Avignon en raison des obsèques de son ami Piers de Nogaret. Au pied des Alpilles, le château de Verfeuille, appartient aux Nogaret depuis le XIVe siècle, suite au rôle de leur illustre ancêtre dans la chute des Templiers. Bruce et Piers appartiennent milieu diplomatique. Bruce se remémore une fête de Noël au château avant le départ de Piers pour rejoindre son premier poste en Égypte.

 

Le thème du triangle amoureux est mêlé à l'histoire d'une mystérieuse secte, et le tout est réinterprété par la problématique du rapport de l'écrivain à ses personnages. Bruce fait partie du premier triangle « frère, sœur, amant » y recherchant « un amour exempt de sanctions, de restrictions, de culpabilité » ; Sylvie, l'épouse par convenance, est la sœur de Piers dont on vient d'apprendre le décès. Elle est placée dans une institution, car « elle est dans une sorte d'état crépusculaire, atteinte de confusion mentale.»Préfiguration d'« une société différente fondée sur la femme libre.» L'autre trio est symétrique par sa composition. La sœur du narrateur, Pia, qui a épousé le romancier Robin Sutcliffe, l'a quitté pour Trash, une Afro-américaine, après avoir subi une psychanalyse à Vienne. Autour d'eux, plusieurs personnages : Akkad, homme d'affaires et gourou de la secte gnostique ; Sabine, fille d'un banquier juif, aussi nomade que les gitans qu'elle étudie ; Tobias Goddard, historien spécialiste des croisades et des Templiers, qui aspire à surpasser Gibbon.

 

Plusieurs personnages furent initiés par Akkad en Égypte. Il les a reçus dans sa secte au cours d'une cérémonie secrète dans le désert près d'Alexandrie. Bruce raconte : « Contrairement à son frère, elle [Sylvie] partageait mon inaptitude native à toute forme de croyance, une carence qui nous avait empêchés l'un et l'autre de pénétrer très avant dans l'inextricable jungle du monde gnostique ; alors que Piers s'y était trouvé tout de suite comme un poisson dans l'eau et avait évité de justesse de se muer en fanatique….» Cette croyance en la substitution au dieu unique et bon par une anti-divinité maléfique figurée par le serpent Ophis, —autrement dit Monsieur le prince des ténèbres— Akkad l'a expliquée ainsi que ses conséquences. « Quand ils décident d'entrer dans la confrérie, au plein sens du terme, ils admettent qu'une fois leur heure venue, et le tirage au sort en décide, ils pourront être mis à mort par un membre du chapitre qui sera désigné pour cette tâche — mais ils ne sauront jamais exactement qui et exactement comment l'ordre sera exécuté.»  Bien que la police avignonnaise ait conclu au suicide, Piers de Nogaret a pu être exécuté par Sabine, comme lui membre du premier cercle gnostique. Aux indices que Bruce a relevés sur la scène du crime s'ajoute un document de la main de Piers qui semble indiquer que sa mort avait été programmée.

 

Les questions d'écriture ne se limitent pas au flash-back et aux effets de miroir. Durrell nous emmène à Venise, loin de « cette pauvre Angleterre dégénérée où le football avait remplacé les pendaisons publiques »; l'écrivain Sutcliffe s'y livre à la détestation de son rival, un auteur à succès qui « avait réussi à se payer deux Rolls.» Il connaît alors le vertige de la page blanche et imagine ce que nous avons lu en incipit, remplaçant Piers par Pia. Traumatisé par les amours lesbiennes de Pia, il patauge dans l'écriture de son prochain roman tout en réfléchissant aux personnages que nous connaissons déjà. Le lecteur découvre enfin un écrivain britannique installé dans la cité des doges : c'est Blanford, veuf de Livia, dînant en tête-à-tête avec le fantôme d'une femme censée juger son dernier roman.

 

• Lawrence DURRELL  -  Monsieur ou le Prince des ténèbres. Traduit par Henri Robillot, Gallimard, 1976, 338 pages

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE
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