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KMoele.jpgOn connaissait les Brink, Coetzee et autres romanciers sud-africains blancs. Voici Kgebetli Moele, l'un des jeunes écrivains noirs de la nouvelle génération. Ce premier roman, publié à Capetown en 2006,  mérite d'être reconnu.



Dans Hillbrow, le quartier le plus dangereux de Johannesburg, la "Chambre 207" sert de refuge à six jeunes hommes noirs pendant une bonne décennie.Tous, d'origine rurale, sont venus dans la "cité des rêves" pour obtenir un diplôme universitaire et réaliser leurs ambitions : ingénieur du son, producteur de film ou écrivain. Si le kwaito, cette musique née dans les townships à la fin des années 80, les passionne, la pauvreté les harcèle, les contraignant à voler de quoi survivre. Mais la joie, la fête ont leur place : le "Grand Dieu" – la bière – "d'Isando" – le quartier des brasseurs–, leur dispense l'oubli, tout comme les prostituées – "les anges de la nuit" – et les copines sincèrement aimées, souvent battues lorsqu'ils sont ivres...Toutefois nul ne s'éternise à Hillbrow : tous finalement "dé-réfugient le refuge".


On est frappé par le réalisme lucide et sans concession de K.Moele. Il révèle sans détours la pauvreté, la violence, la haine : le quotidien de ces jeunes hommes noirs. En tutoyant le lecteur, tantôt blanc, tantôt frère noir, Noko le narrateur le force à partager l'existence des locataires de la 207, à vivre dans cette ville qui "t'enlace, te caresse,(..) et quand tu te réveilles, il est trop tard".



Après les Anglais et les Afrikaners, Johannesburg "est sous domination de l'homme noir ; son époque est là et apparemment elle ne cessera pas". Mais la ville a bien changé depuis la fin de l'apartheid : "la démocratie l'a défigurée". Les anciens hôtels, les beaux bâtiments abritent aujourd'hui des noirs pauvres –"ça sent la pisse"– et avec la saleté, la violence urbaine s'est accrue.



"Marche prudemment et réfléchis vite" dans Hillbrow, car la précarité pousse les noirs à l'agression – les Zoulous surtout, réputés violents. Avec les Xhosa et les Swasi ils constituent la société africaine traditionnelle et haïssent les immigrés africains voleurs d'emplois, surtout les Nigérians, corrompus et trafiquants. Tous vivent d'embrouilles, beaucoup affichent "la sape", les grandes marques, pour imiter l'élite noire...



"Une bien triste histoire noire", c'est un leitmotiv sous la plume de Noko. Alors que les six locataires de la 207 avaient déjà peiné pour réunir l'argent de leur inscription à l'Université, leur manque de ressources les condamne : ils ne peuvent résister à la pression des codes – surtout vestimentaires – imposés par leurs pairs et ne terminent pas leurs études. Seul D'Nice y parvient, mais il meurt du sida. Même si ces jeunes hommes veulent croire au bonheur et à leurs rêves, ils savent "qu'on ne choisit pas sa vie, on l'accepte": cette lucidité résignée baigne tout le roman.



K.Moele prête à certains de ses personnages noirs une image négative d'eux-mêmes : "on est des gens bizarres". Sans respect de soi ni des autres, convaincus de n'être que "la queue de ce monde", la pauvreté les rend jaloux et haineux, prêts à marabouter celui qui réussit pour lui nuire – tel Nare, à qui l'auteur dédie son roman. "Un homme noir peut te tuer parce que t'essaies de t'en sortit et venir à tes funérailles" déclare l'un d'eux ; c'est toute l'ambiguïté de ces jeunes hommes dont l'alcoolisme renforce les pulsions violentes.



Si tous les noirs sud-africains ont, comme Noko, "adoré Mandela le combattant de la liberté", ils ont "haï Mandela le politicien"... "Il a trahi notre nation, tout ça pour de l'argent (...) C'est financé par des politiciens internationaux corrompus [pour] maintenir les gens dans le malheur". L'abolition de l'apartheid n'a pas libéré tous les noirs. Johannesburg, ville fascinante et piège à pauvres, symbolise ce qu'est devenue l'Afrique du Sud : l'élite noire a remplacé la blanche, mais les inégalités sociales demeurent. "Le jour où l'on meurt vaut mieux que le jour où l'on naît" quand on est condamné à la précarité ; toutefois "la punition" n'est pas de "naître noir", mais de naître pauvre.

 

• Kgebetli MOELE : Chambre 207. Traduit de l'anglais (sud-africain) par David König. Éditions Yago, 2010, 269 pages.

 

Chroniqué par Kate.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE AFRICAINE, #AFRIQUE DU SUD
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