Au commencement, il y a un rituel. La grand-mère dit : « Crac, voici l'histoire. Vraie ou fausse, qui le sait ? Mais comme c'est une vieille histoire, il faut que tu l'écoutes en croyant qu'elle est vraie, même si elle est fausse. D'accord ?» Et le petit-fils (c'est Kenzaburô) répond : « Oui ! » La famille de l'auteur, du côté maternel, est originaire d'une petite vallée de l'île Shikoku. Sa grand-mère lui a laissé en héritage les contes de cette région. Il s'agit de contes à partir de la fondation du village natal, dans la vallée où coule l'Awaji, au milieu de la forêt dense.
• L'auteur a emprunté son titre à une structure utilisée par des anthropologues en charge d'Indiens d'Amérique du Nord. En fait, tout s'enracine dans un souvenir scolaire. Devant figurer un tableau du monde au temps du "Grand Japon" de Hiro-Hito, le jeune Kenzaburô ajoute à sa carte le dessin de la «vallée dans la forêt» (le centre de son univers) et, en lieu et place des souverains, il figure la géante Oshikomé, « la grande femme laide », et un petit malin l'accompagnant, Meisuké. Dans ce "couple" la géante est "M" (comme "matriarch") et le garçon "T" comme "trickster", un espiègle qui transgresse les lois.
• Au fil des pages les personnages légendaires ne manquent pas. Le principal est appelé le "destructeur", drôle de nom pour le fondateur du village : c'est qu'ayant pris la mer avec divers aventuriers, et ayant ensuite remonté un fleuve côtier, il détruisit son embarcation comme d'autres ont brûlé leurs vaisseaux. Les aventuriers deviennent des vieillards et sont "gigantifiés" ; centenaires, ils travaillent encore entourés de leur descendance. Bientôt, le "destructeur" puis les vieillards s'évaporent : pas de tombes. Le village, enrichi par la fabrication de la cire, passe un mauvais moment avec le "Mouvement de Restauration" sous la conduite d'Oshikomé : on dirait les Khmers rouges imposant la pauvreté généralisée à leurs semblables ! Après ce drame mythologique, le village a vécu la fin de "l'époque de la liberté" : il entra alors dans l'histoire, c'est l'âge des samouraïs et bientôt la Restauration de Meiji. Les paysans se révoltent de temps en temps — une fois sous la conduite de ce Meisuké qui se fera hara-kiri en prison, suite à la répression du mouvement. La guerre des "cinquante jours" voit enfin les villageois s'opposer à l'Etat moderne. Ils ont fraudé sur l'état-civil ! Ils cachent des déserteurs en pleine époque nationaliste. Ce sont des génies de la résistance en un sens. Les militaires envoyés pour les réprimer — on est en 1944 ou 1945 — sont reçus par la rupture d'un lac de retenue ; les suivants découvrent une population qui résiste et se moque d'eux. Leur capitaine se pendra à un arbre. On ne parle pas d'Hiroshima.
• Ceci n'est qu'un tout petit aperçu des "merveilles de la forêt". L'intérêt majeur tient au mélange des genres : les légendes racontées par la grand-mère sont reprises et analysées par l'écrivain, et parfois un souci de vérité historique vient se télescoper au merveilleux. L'écrivain se fait en quelque sorte le porte-parole de sa vallée, et un gardien du patrimoine immatériel, plus qu'il ne verse dans l'autobiographie. Pour finir il évoque son fils handicapé, Hikari, et comment celui-ci, à son tour, a été captivé par les récits merveilleux de sa grand-mère. Le livre s'adresse avant tout aux fans de Kenzaburô Ôé. Il paraîtra ennuyeux à ceux qui découvriraient l'auteur japonais avec ce titre.
Kenzaburô Ôé - M/T et l'histoire des merveilles de la forêt. Traduit du japonais par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura. Gallimard, 1989, 347 pages.