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1944, dans un Japon en guerre. Les adolescents d'une maison de correction d'une ville bombardée sont évacués vers la montagne. Leur éducateur les confie à de frustes habitants d'un village tandis que des militaires en repartent sans avoir repris le déserteur qui se cache dans ces parages.

Le roman de Kenzaburô Ôé est loin de reposer sur le seul choc culturel des jeunes Oe-Arrachez.jpgde la ville devant la rudesse de la vie du hameau reculé : dès leur arrivée domine chez eux le sentiment d'être pris au piège dans un coin perdu. « Vous aurez plus de mal à fuir d'ici que lorsque vous étiez en prison » les avertit-on. « Par endroits, la route était effondrée…» à cause des pluies torrentielles et on ne parvenait à destination qu'en franchissant un dernier obstacle : « Un wagonnet pour le transport du bois était stationné sur des rails qui enjambaient la vallée.» Pire, les jeunes sont enfermés dans un hangar et le lendemain astreints à enterrer les nombreux cadavres d'animaux morts d'une épidémie. Comme ce fléau menace aussi les humains, les villageois prennent le large et, cinq jours durant les jeunes délinquants sont laissés à l'abandon. « Tout le monde s'est enfui. Ils sont vraiment dégoûtants.» Les jeunes s'organisent en une sorte de communauté à la fois festive, en faisant un grand feu pour se réchauffer, et macabre car ils découvrent deux victimes : une femme qui était restée dans le village avec sa fille, et un homme dans le ghetto des Coréens — qui sont les domestiques. Cette fille périt à son tour, mordue par un chien malade que le frère du narrateur avait recueilli. Au retour des villageois, avec le déserteur blessé et prisonnier, les adolescents sont accusés d'avoir pillé les maisons et incendié des bâtiments. Ils se plient aux injonctions du maire. Le narrateur, resté rebelle, doit alors prendre la fuite.

Comme dans "Le ramier", comme dans "Seventeen", le narrateur est un jeune, tourmenté par sa sexualité. Surtout, ce roman datant de 1958 est fortement dominé par la question de la mort, par la présence de cadavres, par la décomposition et la puanteur. Comme dans la nouvelle "Le faste des morts", où il faut se débarrasser des corps stockés dans la morgue d'un CHU, il appartient aux jeunes de faire le travail macabre : d'abord avec les animaux, puis avec les hommes, métaphore d'un Japon vaincu croulant sous le nombre des victimes. Notons en passant que la proximité avec les animaux est un thème récurrent : « nous bourrant de patates comme des cochons.» Le narrateur a vite eu l'impression d'être comme « une bête en cage ». Notons que tout l'environnement est inquiétant : il y a une mine abandonnée (d'où les wagonnets) et un homme en armes contrôle ce passage. Le village, dans une sombre vallée resserrée, encerclée de forêts denses, est lui-même comme un cercueil pour les jeunes venus de la côte bombardée. Les villageois, parce qu'ils imposent à ces jeunes une tâche qu'ils veulent fuir à cause du risque d'épidémie, parce qu'ils se méfient de ces criminels en herbe, de leur « férocité », forment une société hostile parlant un dialecte de montagnards. La violence est déjà dans le titre qui exprime la philosophie du maire ! L'intrigue et l'écriture ne peuvent que captiver. Loin du Japon insouciant et superficiel de certains auteurs contemporains.

Kenzaburô Ôé  -  Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants. Traduit par Ryôji Nakamura et René de Ceccaty. Gallimard, 1996, et "L'Imaginaire", 2012, 233 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE JAPON
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