J.-P. Demoule plaide pour l'archéologie préventive sur le sol français. D'ailleurs, l'archéologie en général, rappelle-t-il, n'a rien à voir avec Indiana Jones : c'est une véritable science qui travaille en relation avec les sciences naturelles, l'histoire, l'ethnologie, pour comprendre le passé des sociétés à partir des vestiges mais aussi des objets, de la "culture matérielle". Or, en France, on s'est toujours beaucoup plus intéressé à l'archéologie en Grèce ou en Europe qu'à celle du territoire national. Président de l'INRAP de 2002 à 2008, J.-P. Demoule souligne que, même si les fouilles préventives existent en France depuis 1970, il a fallu attendre la loi de 2001 pour que tout aménagement public d'un parking, ou d'une ligne de TGV, soit obligé de prendre en compte les vestiges archéologiques exhumés. Les pouvoirs publics ont longtemps prétexté à tort que ces fouilles préventives ralentissent les travaux et coûtent cher : elles ne représentent en fait que 1% du budget de construction d'une autoroute et 0,01% du PIB national. En réalité, selon J.-P. Demoule, nous restons très amnésiques de notre passé pour une raison claire : notre « déni informulé du passé repose sur le sentiment national de la triple défaite subie successivement par les Gaulois face aux Romains, puis par les Gallo-Romains face aux Francs, et finalement par les Francs, ceux qui ont laissé notre nom mais ont perdu le reste ». Demoule brise les clichés , les fausses représentations mythiques du passé français, en se fondant sur les révélations de l'archéologie préventive sur notre sol, parfois saisissantes.
• Le premier humain y arriva d'Afrique : cet Homo Erectus fut vite suivi par l'Homo Sapiens qui se métissa avec l'homme de Néanderthal dont le système cérébral était semblable au nôtre. Ainsi, depuis 35 000 ans existe l'homme moderne, sans évolution psychomotrice majeure! Mieux encore, les Gaulois ne furent nullement des barbares sanguinaires! Au néolithique, ces chasseurs-cueilleurs nomades se sédentarisèrent, domestiquèrent plantes et animaux, construisirent des villages —les oppida— et s'organisèrent en sociétés prospères qui connurent à partir du II siècle avant J.C. un fort développement économique grâce à la métallurgie du fer. Mais, peu à peu ces Gaulois ont été assimilés par la civilisation romaine. Les Francs ne les anéantirent aucunement quand vinrent les "invasions barbares" : il n'y eut pas de chute de l'empire romain, pas de "choc des civilisations", mais de lentes transformations car ces Francs cherchaient à s'intégrer et furent vaincus, non militairement, mais culturellement.
• On véhicule, de même, une représentation totalement erronée du Moyen-Âge, obscurantiste et misérabiliste alors que les fouilles préventives révèlent l'essor des villes, la montée en puissance d'une riche bourgeoisie qui s'émancipe des seigneurs locaux : ce fut un temps d'inventions techniques, de renouveau politique, de profonde évolution des mentalités.
• J.-P. Demoule avance par ailleurs une intéressante analyse de l'origine de l'inégalité sociale : peu présente chez les chasseurs-cueilleurs, elle apparaît avec l'extension des agriculteurs sédentaires. En France en particulier, extrémité de l'Eurasie où tous les groupes migrants viennent s'entasser, une meilleure alimentation et l'amélioration des techniques font croître la population : apparaissent des tensions entre groupes humains, les villages se fortifient et se hissent sur les hauteurs. Dans chacune de ces chefferies gauloises très hiérarchisées s'instaure une violence institutionnalisée. Le fait est surtout avéré à partir du III° siècle et de l'extension du christianisme ; les chefs sont assimilés à Dieu et établissent leur pouvoir sur l'intérêt matériel et les promesses spirituelles : alors que les religions païennes n'offrent guère de représentation heureuse après la mort, le monothéisme laisse espérer la félicité. Les populations auraient alors accepté cette « servitude volontaire » comme le note l'auteur, échangeant l'obéissance contre la promesse du bonheur post-mortem. L'âge du bronze et du fer a conforté cette position de domination : les beaux objets exhumés des tombes des chefs n'étaient pas des outils utilitaires mais de « véritables instruments de manipulation », des symboles de pouvoir. Ainsi, selon l'auteur, l'homme ne serait pas "mauvais par nature" ; l'inégalité et la violence sociales résulteraient, exceptionnellement, de conditions environnementales et culturelles particulières.
• L'archéologie préventive sur le sol français aide à casser les mythes nationaux et à comprendre comment et pourquoi ils se sont constitués. À la pointe extrême de l'Europe, la France ne relève pas d'une unique origine : depuis la nuit des temps nous sommes des sang-mêlés, et avant tout des Européens. Mais c'est "un passé qui ne passe pas"… encore.
• Jean-Paul DEMOULE - On a retrouvé l'histoire de France. Comment l'archéologie raconte le passé. Robert Laffont, 2012, 333 pages.
En appendice, un précieux tableau chronologique classe les sites de fouilles en France du Paléolithique au XXe siècle.
Chroniqué par Kate