
L'Europe persiste à considérer l'Afrique comme une terre archaïque, coupée du monde, vouée à la famine et à la grande pauvreté autant en raison des guerres ethniques que de l'incapacité des africains à entrer dans la modernité.
Or, ce mythe d'une malédiction, de la "tragédie nègre", s'effondre aujourd'hui devant faits et chiffres. L'Afrique n'est condamnée ni par sa géographie, ni par son histoire ou ses institutions.
La croissance économique de l'Afrique ne résulte pas tant des exportations de matières premières que de facteurs endogènes comme l'explosion démographique, l'urbanisation et la densification des territoires. Certes différents, les 48 Etats africains artificiellement délimités à l'ère coloniale ont un atout majeur : le "séisme" démographique. Aujourd'hui, 2 africains sur 3 ont moins de 25 ans ; et si l'Afrique concentre les deux tiers des cas de sida, sa forte natalité, de 2,5 % par an, les compense. On assiste certes à une urbanisation massive, mais sans dépeuplement des campagnes. Car, depuis des siècles, le sous-continent est à la fois une terre de migrations internes et d'immigration : tous ces mouvements de populations régulent les espaces en peuplement. Un tel brassage humain bouleverse la perception identitaire : l'ethnie n'en constitue plus le socle unique ; en outre, l'Afrique n'a jamais été cette mosaïque de tribus étiquetées par les colonisateurs, étanches et hors de l'histoire. Comme tout européen, un africain dispose d'identités multiples et alternatives. Les modes de vie changent : les africains abandonnent peu à peu les religions traditionnelles et adhèrent à l'Islam ou au Christianisme. L'Europe laïcisée ne veut pas comprendre les raisons de l'expansion de ces deux monothéismes ; ils sont fondamentaux dans toutes les sociétés africaines car ils leur donnent des normes économiques et sociales compensatrices de l'anomie de nombreux régimes politiques.
Autre atout maître, la mutation économique engendre l'émergence d'une classe moyenne, cosmopolite et multilingue. Enfin, l'accès à l'information se démocratise : les chaînes satellitaires arabes se multiplient, Internet permet à l'opposition politique de s'exprimer. L'Afrique est entrée dans l'internationale migratoire autant que dans la mondialisation médiatique.
Néanmoins les forces de frein au décollage africain restent indéniables, variables selon les pays. À la faiblesse du pouvoir politique s'ajoutent encore les conflits de violence ethnique et les fragilités structurelles : la forte poussée démographique induit la dégradation et la raréfaction des ressources naturelles. Le respect des droits de l'homme, la bonne gouvernance, la démocratie : autant de seuils que les divers pays ont à franchir.
C'est une époque de crise pour l'Afrique subsaharienne, mais elle est en marche, elle entame la mue, de quelques décennies sans doute, vers sa propre modernité, africaine et non importée. Multipliant les "partenariats stratégiques" avec les pays émergents, l'Afrique n'attend plus l'Europe, sa charité et son complaisant dédain. Pourtant l'Europe attendra de plus en plus le sang neuf des cerveaux africains – médecins par exemple –, pour perfuser sa compétitivité déclinante. La métamorphose du sous-continent oblige l'Europe, pour ne pas en subir les conséquences, à proposer à l'Afrique une nouvelle relation : non pas une aide au développement qui la maintient dépendante, mais qui accompagnera son décollage économique et le rendra durable.
"Son destin peut bouleverser le nôtre ; après Bush, Obama l'a compris. Qu'attend l'Europe?".
• Pour fêter le cinquantenaire des Indépendances et à l'occasion de la sortie de cet ouvrage, les auteurs invitent à échanger sur leur forum en ligne.
• Jean-Michel SEVERINO et Olivier RAY : Le Temps de l'Afrique
Odile Jacob, 2010, 345 pages.
Odile Jacob, 2010, 345 pages.