Certes, on ne lit plus Bossuet. On ne lit quasiment plus de textes français du siècle de l'Aigle de Meaux, si ce n'est par obligation scolaire, ou "La princesse de Clèves" par… suggestion présidentielle. Aussi un universitaire tel Jean-Michel Delacomptée a-t-il voulu restaurer l'image de l'auteur des célèbres oraisons.
Dans cet essai qui n'a rien d'ennuyeux et qui même est séduisant par son écriture vive et élégante, il nous est donné à voir le portrait de Bossuet sous plusieurs angles. Il y a d'abord l'homme Jacques-Bénigne, né en 1627, rejeton d'une famille de parlementaires bourguignons, benjamin d'une fratrie et donc voué à l'Église. Il y a le clerc de la Contre-Réforme, à la solide formation classique qui ne se limitait ni au Nouveau Testament ni aux Pères de l'Église. Mais le clerc d'une Église gallicane, soutenant son roi contre les derniers restes des ambitions impériales des papes d'autrefois. Un courtisan aussi, beaucoup même, précepteur du Grand Dauphin, familier de Versailles et établi à Paris : « Le trajet de Paris à Versailles prenait trois heures. De Paris à Meaux, l'après-midi.» Ainsi l'évêché de Meaux était-il plus en accord avec l'état de courtisan que celui de Condom où Bossuet faillit se retrouver, certes au cœur des effluves d'Armagnac mais si loin du roi. Même Fénelon qu'il contribua à éloigner de la cour ne se retrouva jamais qu'à Cambrai. Bossuet n'acceptait pas le quiétisme et celui de Jeanne Guyon en particulier. Au contraire son idéal féminin c'est une vierge innocente et pure, les yeux baissés, et silencieuse. Et voilà Bossuet directeur de conscience de personnes de qualité. On le retrouve aussi combattant pour l'unité religieuse du royaume, poussant les huguenots à l'abjuration, approuvant les dragonnades jusque dans son diocèse. Par ailleurs il bataillait ferme contre l'esprit critique d'un Richard Simon prêt à corriger les textes sacrés. Plus étonnante peut-être est son amitié pour l'abbé Rancé, cet homme qui s'est exclus du monde après la mort de sa maîtresse pour vivre dans un monastère dont il rendit la règle insupportable à nos yeux. Bossuet l'admira, alla le visiter à la Trappe et fit publier ses œuvres.
L'auteur accorde une place toute particulière aux écrits de Bossuet. On n'en attendait pas moins de la part du spécialiste des lettres du Grand Siècle. Pour réviser l'époque on passera par l'évocation de quelques oraisons funèbres, celle d'Henriette d'Angleterre, celle du Grand Condé, la dernière, à Notre-Dame, en 1687. On sera étonné de l'énorme quantité de textes dus à la plume de Bossuet jusqu'à sa mort en 1703, — des textes qui ne sont pas tous édités. Le "Traité de la concupiscence", seul, donne à voir un Bossuet un petit peu plus intime : « Exhibant ses démons et sa peur de la mort, les affrontant au grand jour. Et s'en libérant par sa plume en rédigeant ce mince traité fou dans une langue de feu.» Mais après avoir fouillé la bibliothèque du grand homme, J.-M. Delacomptée n'y trouva point de roman. Bossuet rêvait de la conservation du monde tel qu'il est : « Il redoutait l'avènement du monde à venir, dont il abhorrait l'athéisme, les désordres latents et l'attrait pour la chair…»
• Jean-Michel DELACOMPTÉE : Langue Morte - Bossuet
Gallimard, collection "L'un et l'autre", 2009, 197 pages.