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L'idée de départ est double. D'un côté, c'est apparemment le roman de deux adolescents, Fred et Alice, le garçon est en classe terminale à Paris et la fille est en traitement dans un hôpital psychiatrique à la campagne. Cette histoire est divisée en 34 chapitres numérotés entre lesquels s'intercale un autre récit. Laclav-Conciliabule.jpeg

• C'est la conversation d'un narrateur, Etienne Fage, avec la Der — son imagination   ou son inspiration, comme vous voudrez — vieille femme invisible mais qui entend tout derrière la cloison de l'appartement de l'écrivain et qui ne se prive pas de le dire à Etienne : d'où le titre "conciliabule avec la reine". Ces neuf brefs chapitres — tous numérotés zéro — sont bien l'origine de la fiction mais n'apportent pas un supplément d'intérêt à l'intrigue, si ce n'est que la métaphore de la Tour d'Ivoire où l'écrivain se retiré fait place ici à un appartement situé tout en haut d'un immeuble déglingué voué à la démolition. Je ne pensais pas que la littérature et l'écriture étaient aussi mal en point pour mériter une si triste comparaison. 

• Revenons à l'essentiel. Alice est "soignée" dans une institution où Anne, la mère de Fred, est médecin. C'est là que les adolescents se sont connus. L'été venu, son séjour terminé, Alice, qui semble rejetée par sa famille ne va pas conduire Fred au pays des merveilles en le persuadant d'accompagner sa fugue vers les plages des Landes puis à Bayonne. Il s'agit pour Alice d'avoir un compagnon pour descendre à la rencontre de sa catastrophique famille dont Fred n'a d'abord qu'une vision réduite : une vieille trousse de chirurgien qu'Alice a subtilisée à son père et cachée dans la cave de l'institution. Dans la pinède landaise, Alice finit par retrouver Odin, le frère aîné, lui aussi a déserté le domicile des parents à Bayonne pour vivre dans une palombière. Suivis par Fred, Odin et sa sœur mettent leurs retrouvailles à profit pour se diriger vers la maison des parents, plus dans un esprit de vengeance que de réconciliation générale.

La relation d'Alice avec les membres de sa famille est le thème le plus intéressant  du livre. C'est arrivé aux trois-quarts du roman que l'on saisit mieux qui sont les parents d'Alice ; sa mère par exemple à qui Alice voue une forte détestation :

« C'est une de ces femmes dont on oublie les traits même après plusieurs rencontres ; fardée comme un mannequin de cire, elle s'est adaptée à la non-existence à quoi l'a réduite son mariage. Elle vit dans un coma des sens et de l'intelligence, mécanique asservie aux mœurs de sa caste et de sa région.»

Le lecteur n'ayant pas pu se faire une idée très précise des violences familiales suggérées, il lui reste à constater que la progéniture du chirurgien se livre à la vengeance pendant que la fête bruyante et arrosée s'empare des rues de Bayonne. Un débordement qui sera fatal. 

L'image de son père s'associe à la violence, au sang qui coule. De là l'intérêt des corridas auxquelles la jeune fille se souvient avoir assisté. 

« Il faut le voir, les dimanches d'été, mener sa famille aux arènes, et s'installer parmi les hommes à veston strict, à l'abri du soleil et de la foule trop bruyante, tandis que femme et enfants sont relégués derrière, un peu plus haut. Dès le commencement de la faena, Alice qui l'observe, voit son visage s'empourprer d'un bonheur sanguin. Elle aussi aime les cris, le martèlement des sabots sur le sable, l'éclat blessant de l'or et de la muleta vermeille ; elle aime les gémissements du taureau, son souffle pressé et puissant qui résonne en elle, et les reflets de poix drapant son échine.»

Pour donner une dimension supplémentaire au gâchis que constitue l'aventure des ados confrontés à la crise d'une famille, l'auteur y a ajouté une liaison, vite suivie d'une rupture, entre Anne et Jean Jaume, son voisin horloger. Cette liaison qui déplait fortement à Fred tend certes à le pousser auprès d'Alice. Mais était-il nécessaire de mettre autant de platitudes dans ce récit secondaire ? Quand la fugue de Fred laisse Anne sans nouvelles de son fils, on comprend très bien qu'elle veuille aller le rechercher dans la famille d'Alice. Avec ou sans Jaume, qui joue seulement les utilités.

• Lecture faite, un sujet géographique se dégage de ce roman un peu paresseux. C'est celui du Sud-Ouest, avec la forêt où les chasseurs attendent la palombe, avec la plage landaise, la corrida ou les vachettes, et surtout Bayonne en fête :

« Alice lui a raconté ces cinq jours de folie annuelle, où la ville roule dans des creux d'ivresse : la musique lancinante, omniprésente des txistularis et des gaïteros, l'encierro des vaches, réputées plus rapides, plus vicieuses et hargneuses que des taureaux, lâchées à travers les rues, guidées par les écarteurs vêtus de blanc, le mouchoir à la main, vers les sauteurs qui bondissent par-dessus les bêtes affolées …»

Pas étonnant si de plus récentes publications de J.-M. Laclavetine se retrouvent dans une collection nommée "Le sentiment géographique"... 

Jean-Marie Laclavetine  -  Conciliabule avec la reine

Gallimard, 1989, 214 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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