« Relire l'histoire de la Révolution française » : ce sous-titre est un vaste programme ! Jean-Clément Martin, d'abord connu comme spécialiste des guerres de Vendée, se méfie des grands systèmes explicatifs, tel celui des Républicains triomphants du XIXe siècle, comme du recours confiant aux statistiques. Il s'interroge sur « les catégories mêmes qui sont employées "naturellement" sans se poser de questions ». Se méfiant des postures « de l'histoire "scientifique" », il traque « les intentions et les calculs » des acteurs de l'histoire ; il recherche « les stratégies individuelles et collectives qui ont fabriqué le monde au jour le jour et sont parfois, le plus souvent même, recouvertes voire cachées par les vestiges archivistiques ou monumentaux qui nous parlent des temps passés.» Malgré la réjouissante analyse du fiasco de la célébration en 1989 de la bataille de Valmy de septembre 1792, mon intérêt s'est plus particulièrement porté sur certains de ces onze essais, en suivant des thématiques.
L'originalité de la guerre de Vendée. Pourquoi les événements de Vendée en 1793 ont-ils été qualifiés de "Guerre de Vendée" alors que dans d'autres départements et provinces des soulèvements ruraux comparables se sont produits sans qu'on y évoque l'existence d'une guerre ? Un « délire complet » a prévalu à la Convention, étayé par une « obsession du complot ». Et par la suite on a appliqué des modèles de prêt-à-penser, de droite comme de gauche, provoquant un « court-circuit idéologique ». La destruction de nombreuses archives a assurément facilité ces errements, de même une mauvaise prise en compte des quelques années précédant mars 1793. Finalement, la guerre de Vendée a été bien vite présentée comme l'archétype du mouvement contre-révolutionnaire. (Voir aussi le Dictionnaire de la Contre Révolution).
La violence dans la révolution. Comment la Terreur s'est-elle imposée dans le vocabulaire des Conventionnels, par-delà leurs divisions, avant même les événements sanglants que l'on connaît? À la tribune, on en parle aussi pour l'éviter, mais les acteurs nationaux n'agissent pas à l'unisson. « La terreur est bien installée dans de nombreux endroits, à la suite d'initiatives individuelles ou de l'action de groupes armés qui ont pris au premier degré les nouvelles venues de Paris, ou qui couvrent ainsi leurs actes par une formule adaptée.» On a forgé l'idée d'un "système de la terreur" pour s'en libérer en 1794. De plus, les violences inouïes de l'époque ne se sont pas cantonnées à la France de Danton et Robespierre. La Terreur est devenue une « ruse de l'histoire », un « labyrinthe » où les historiens se sont laissés prendre. Dès l'époque en question, il a été courant de souligner avec emphase une "rupture", et puis le "roman noir" a popularisé le crime et les figures de criminels. Le sang versé a été interprété comme une violence inévitable pour l'accouchement des temps nouveaux.
Les femmes à l'époque révolutionnaire. La Révolution a connu bien des héroïnes, mais elle les a désavouées ou guillotinées. Pour son courage et sa beauté, Charlotte Corday est devenue dès 1793 « un personnage emblématique, fantasmatique, dont l'aura excède largement la signification de son acte.» Moins connue est la présence de femmes soldats sous la Révolution et l'Empire. 80 qui n'étaient-elles pas cantinières ou vivandières mais combattantes. Pourtant un décret du 30 avril 1793 interdit la présence de soldates dans l'armée. Il y a donc d'étonnantes trajectoires individuelles, souvent grâce au travestissement! Enfin, un essai sur les violences sexuelles en Vendée au XIXe siècle montre « une montée brutale des affaires jugées à partir de 1845-1850 » sans doute parce que la population féminine fait alors davantage confiance à l'institution judiciaire et peut-être parce que reculent les solidarités locales et l'entre-soi cher aux notables traditionnels. Le lecteur découvre au passage que ces viols pouvaient avoir bien d'autres causes que la convoitise sexuelle, en particulier des règlements de compte entre familles.
• Deux cents ans ont passé : la Révolution française continue d'être un monde complexe pour le chercheur comme pour le curieux. Rien n'est plus faux que la formule célèbre de Clemenceau : la Révolution est un bloc !
Jean-Clément Martin - La machine à fantasmes. Relire l'histoire de la Révolution française.Vendémiaire, 2012, 314 pages. Le livre comprend un cahier graphique de seize pages.