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FROSA--otra-maldita-novela-sobre-la-guerra-civil.jpegigurez-vous que les enjeux de mémoire ne taraudent pas seulement l'esprit des Français ! La question de la mémoire individuelle et collective est au centre de ce roman. Voici Julian Santos : à son activité de professeur dans un collège madrilène, il ajoute celle d'écrivain pour autrui, de nègre pour être précis. Refaire la vie de Gonzalo Mariñas, comme on recourt à la chirurgie esthétique —ou mieux réparatrice— telle est la mission impossible qui est au cœur de ce roman. L'auteur nous conduit ainsi à découvrir le passé d'un cacique du régime franquiste — « connard » ou « honnête homme »? — qui vient de se suicider au cours de la transition démocratique qui a suivi l'avènement de Juan Carlos. Sa veuve souhaite une biographie qui permette de faire de son mari un homme fréquentable. Malgré la grande quantité de documents qu'on lui présente, Santos s'aperçoit vite des failles qu'une photographie opportunément tombée d'un livre lui révèle. Il juge indispensable d'aller enquêter en Andalousie, à la recherche du village d'Alcahaz, où Mariñas, jadis grand propriétaire foncier, aurait commis des atrocités à la veille ou au début de la Guerre civile. Cette quête est intéressante pour elle-même, et pourtant l'intérêt du livre, et son originalité, sont sans doute ailleurs.

Le lecteur est averti que le roman d'Isaac Rosa qu'il tient entre ses mains et vient d'ouvrir est l'objet d'une réédition un peu spéciale de son roman de 1999 : un anonyme a inséré ses propres commentaires à la suite de chaque chapitre ! Cela donne une déconstruction dans les règles, moins du contenu "historique" que de l'écriture de l'auteur. Il faut imaginer combien de malice il a fallu à Isaac Rosa pour se faire l'avocat du diable et se moquer encore et encore de son propre texte ! Fort de sa théorie du roman, le critique anonyme traque les incohérences, les platitudes et même les épisodes prévisibles du récit. Il se moque du vocabulaire qu'il prétend tiré d'un carnet Moleskine ou d'un dictionnaire de synonymes. Il signale les métaphores qui lui paraissent déplacées, les clichés dont il aurait mieux valu se passer, les travers propres au "roman de gare" et les faiblesses qui sont à son avis celles de la littérature espagnole contemporaine... « Notre voyageur semble en plein safari dans ces terres méridionales.»

Troublé par son enquête, Julian Santos se remémore par bribes son propre passé — « sa part d'ombre »— au fur et à mesure qu'il fouille le passé caché de Mariñas et découvre le drame d'Alcahaz. Les deux narrateurs réunis par l'imagination d'Isaac Rosa instruisent ainsi le procès d'une société qui a un temps choisi le silence, choisi d'ignorer ses fantômes : « La folie d'un village comme représentation de la folie de tout un pays qui a choisi d'oublier, de ne pas savoir…» L'amnistie intervenue en 1969 a été prolongée en amnésie par prudence ou calcul sous la transition. Mais ce "passé qui ne passe pas" revient en force frapper en plein visage les enfants et les petits-enfants des victimes et réveiller les témoins survivants et autres « reaparecidos». Mariant roman psychologique et roman politique, ce livre est une réussite ; il nous réjouit en se critiquant lui-même, comme on s'en doutait rien qu'au titre, tout en reconnaissant quelque dette envers le chef-d'œuvre nommé "Pedro Paramo".

• Isaac ROSA : Encore un fichu roman sur la guerre d'Espagne ! Traduit par Vincent Raynaud. Chr. Bourgois éd., 2010, 474 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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