« Ce roman a vu le jour dans un fjord pris par les glaces…» affirme McEwan à la page des remerciements. Mais attention : plus qu'à la mode de la littérature scandinave, "Solaire" se fond (sic) dans l'actualité du réchauffement climatique pour y plonger son personnage principal. Cela suffit-il pour faire un bon roman ?
À la lecture de certaines critiques élogieuses (N. Crom dans Télérama et F. Noiville pour Le Monde) on ne se poserait même pas la question ! Michael Beard, un physicien nobélisé, coureur de jupons, plus alcolo qu'écolo, un peu escroc, un rien vantard et surtout opportuniste, est incapable de s'organiser et de tirer parti loyalement de ses savoirs, de ses travaux et de son titre envié. On tient là apparemment un "personnage" solide avec une forte intrication vie privée-vie publique et une savoureuse plongée dans les controverses d'actualité (cf. débats sur la croissance et sur les choix énergétiques).
Beard se sépare de Patrice, sa 5è femme, à la faveur de la mort accidentelle de son jeune collègue à lui, — et second amant à elle — par la faute d'une peau d'ours blanc qui dérape sur le plancher trop bien ciré. L'enquête trouve le coupable : Mr Tarpin, son maçon — son (premier) amant à elle ; et la justice anglaise envoie le maçon derrière les barreaux pour seize ans. Mais il bénéficiera d'une remise de peine décisive…
Pourtant, malgré ses atouts, je doute fort que Laurence Cossé aurait choisi ce titre pour enrichir le catalogue de sa librairie "Au bon roman"...
• Des personnages ne sont-ils pas superflus ? Sur les cinq ou six femmes, plus les "intercalaires", qui ont partagé la vie de Beard, l'auteur ne fait des personnages un peu consistants que des figures de Maisie et Melissa, approximativement la première et l'avant-dernière.
• Une écriture aussi monocorde n'est-ce pas ringard en 2010 ? L'auteur aurait pu exploiter les relations de ces femmes avec Beard et entre elles pour corser un récit monotone uniquement écrit du point de vue de Beard et ainsi oser varier les narrateurs et les modalités du récit. Or, ceci est juste esquissé à la fin de la 3ème et dernière partie.
Pour pallier ces difficultés et empêcher qu'on ne referme son livre avant la fin, l'auteur croit qu'il lui suffit de recourir à quelques épisodes satiriques ou grotesques, avec une poignée de pointes acérées.
Le roman s'anime surtout jusque vers son milieu, avec la mort de Tom Aldous, la virée de Beard au Spitzberg, et une conférence qui tourne mal. Beard se voit accusé d'être néo-nazi pour avoir renvoyé à l'expéditrice, Susan Appelbaum, — dans un « geste purement ludique » — la tomate mûre qu'elle lui lançait. Tel un vilain geste sanctionné d'un carton rouge dans un match Manchester-Liverpool, cette affaire allait lui coûter son expulsion par Braby du Centre de recherche, et d'autres ennuis cocasses qu'on doit réserver au plaisir du lecteur.
Le roman des énergies renouvelables : Éole ou Hélios ?
Chassé du Centre, Beard tourne le dos aux éoliennes domestiques dont l'idée lui est venue comme une illumination pour justifier l'appel aux investisseurs et l'utilisation des crédits de recherche. Alors Beard et son complice Hammer jouent leur va-tout sur le système énergétique solaire de Lordsburg : « Si la planète ne se réchauffe pas, on est foutus » dit le second avec malice, sans réagir au danger imminent qui les guette. Mais certains réchauffistes sont confiants ; ainsi le médecin américain : «…approuvait le projet de Beard, étant lui-même convaincu de la réalité du changement climatique, et ayant acquis une propriété à Terre-Neuve où, il en était certain, il lui suffirait de dix ans pour créer un vignoble. Le jour où les températures de l'été texan atteindraient régulièrement les cinquante degrés, il serait temps de faire ses bagages et de partir vers le nord. Des centaines d'Américains, voire des milliers assurait-il à Beard, étaient en train d'acheter des terres au Canada.»
Le projet d'éclairer "Lordsburg", localité du Nouveau-Mexique, à l'électricité fournie par une installation photovoltaïque high-tech bénéficie d'un fort battage médiatique. Alors que les difficultés techniques augmentent et que la crise financière mondiale a réduit de 125 à 23 le nombre des panneaux solaires expérimentaux, avec la "photosynthèse artificielle" (sic) Beard est en train de devenir l'homme qui va sauver le monde avec ses dix-sept brevets. La nouvelle s'en répand dans le monde entier : à sa sortie de prison, Tarpin ne peut pas l'ignorer ! Mais Beard ne sait pas comment réagir face à Tarpin.
Reste une trame dont la qualité première est de démontrer l'intérêt d'une énergie alternative telle que le solaire. À moins que Beard ne finisse relapse, reniant sa conversion au solaire dans un nouvel assaut d'opportunisme, avec un bureau à Londres et un « salaire à six chiffres ». Pour la promotion du nucléaire cette fois-ci...
Sous la plume de l'auteur, Beard est l'objet de nombreuses piques utilisant son bon appêtit et son obésité — métaphore probable de l'excès de consommation du modèle "occidental". Dans un restaurant américain, la serveuse pose devant lui le plat principal : « Quatre blancs de poulet sans la peau, entre lesquels étaient intercalés trois steacks minuscules, le tout entouré de bacon, nappé d'une sauce au fromage et au miel, et accompagné de pommes de terre au four grillées, elles-mêmes fourrées de beurre et de fromage à la crème.» À force de se laisser aller dans les excès de table « il marchait en se dandinant un peu et avait un triple menton pendouillant comme la caroncule d'un dindon dès qu'il hochait la tête.» Beard fait un peu penser à Mr Pickwick. En moins sympathique. En somme un roman bien documenté, avec du comique, plutôt qu'un chef-d'œuvre. Prière de ne pas écraser sous les louanges !
Ian McEwan - Solaire - Traduit de l'anglais par France Camus-Pichon, Gallimard, 2011, 388 pages. Titre original : Solar.