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Torrente-rond-de-cuirElisa Pérez, jeune employée de banque qui n'a pas froid aux yeux, se sert de ses charmes pour intriguer auprès du directeur du journal El Progresso et auprès de don Leonidas, le président de la banque où elle vient d'être recrutée. Bientôt, Elisa annonce son mariage imminent avec un rond-de-cuir de cette banque, Pepe Ansurez dit le Chantre qui taquine la muse en dehors des heures de bureau. Jour après jour, Pepe Ansurez et son vis-à-vis Pedro dit don Perico rivalisaient de traits spirituels en prose ou en vers. « Si don Perico rédigeait ses épigrammes en vers, c'était parce que le Chantre lui niait tout talent pour la versification ; et le Chantre écrivait les siens en prose pour une raison équivalente : en ville, don Perico passait pour être l'unique et insurpassable prosateur…»

Un soir, Pepe Ansurez annonce qu'il se lance dans un roman. Le président de la banque, très amoureux d'Elisa, s'empare de ce projet dès que la rumeur commence à se répandre. Il entend guider l'inspiration de son auteur-maison et s'imagine en amant de la belle alors que Pepe n'a en tête que de mettre par écrit son amour pour Elisa. La rumeur enfle. Petit à petit chacun dans la banque et dans la ville s'imagine figurer dans l'histoire ; les uns s'en réjouissent, les autres en tremblent : « Ça va faire un beau scandale quand il le publiera.»

Mais ce n'est qu'un projet. Au sein de la banque, les relations se tendent : Pepe et Elisa quittent la société l'un après l'autre. Elisa parce qu'elle refuse de devenir la maîtresse du patron, et Pedro par amour-propre d'auteur devant les pressions que l'Amiral est venu signifier à don Leonidas ; celui-ci avait imprudemment recommandé à l'auteur de prendre comme personnage un officier de marine pour faire couleur locale... Le banquier est obligé de revoir son projet. C'est maintenant au tour de don Perico d'être élu et de prendre l'ascenseur qui mène au bureau directorial ! Malgré sa réputation de facilité, don Perico n'avait encore réussi à dicter à sa femme que deux mots : Chapitre Un. Tant mieux car, maintenant, les consignes de don Leonidas ont changé. Ne mettre en cause aucun membre des confréries et aucun uniforme. Lui soumettre chaque brouillon de la future copie. Don Leonidas fixe les grandes lignes de l'intrigue : « Les personnages : deux hommes et une femme. Elle, plutôt tête de linotte ; lui, assez sot. Elle couche avec l'autre, l'intelligent, l'élément perturbateur. L'imbécile veut épouser la femme.» Alors don Perico de conclure, déférent plutôt qu'ironique : « Stendhal n'en avait pas autant quand il a écrit "Le Rouge et le Noir", et vous voyez le résultat.»

Ambiance provinciale, climat au sein de l'entreprise, vanité littéraire : en toutes circonstances l'auteur manie joliment l'ironie. Sa maestria se révèle ici aussi féroce que dans "Le roi ébahi".

 

Gonzalo TORRENTE BALLESTER : Le roman du rond-de-cuir. Actes Sud, 1996, 149 pages. Traduit par Claude Bleton.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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