L'écrivain italien Gian Dàuli (de son vrai nom Giuseppe Ugo Nalato) est, me dit-on, plus connu pour "La Roue" (1932) que pour ce roman foisonnant, "Magie blanche", paru en 1944 sous le titre "Cabala bianca". L'auteur s'efface derrière un narrateur du nom de Filippo Valvaï dont les aventures vécues et rêvées mêlent le genre onirique avec l'humour le plus débridé. Titre oblige, un chat noir fera même la fortune de sa femme fière descendante de feu Matteo Colombo, épicier à Ponte Seveso.
L'incipit nous annonce le départ de Filippo, employé du cadastre, avec son ami Piero Trotta, marchand de conserves de tomates, pour un petit voyage d'agrément près de Milan où ils habitent. La dernière page du livre confirme ce thème du "voyage extraordinaire" que le narrateur a entrepris de mettre par écrit : « On est arrivé à la gare juste à temps pour prendre le train…» Dans la voiture , Filippo s'assied en face d'une passagère aguichante : « Pourquoi sa jupe était-elle si courte ?» se demande le narrateur. C'est l'élément déclencheur. C'est ainsi que Filippo a rencontré Gabriella, plus fraîche que sa femme Clementina qui lui a donné trois filles, plus jeune que sa maîtresse Emilia qui est aussi l'épouse de Piero Trotta, plus jolie que sa belle-sœur Monica qui ruine au jeu son mari Ercole. Ce pauvre Barbagelata envisage d'émigrer au Mexique pour refaire sa vie...
Au fil des événements réels et/ou rêvés qui se mélangent de façon à peu près inextricable, le lecteur découvre une réjouissante galerie de portraits. Plusieurs personnages appartiennent à une aristocratie italienne ruinée, comme la grand-mère Maria. D'autres à l'aristocratie anglaise en goguette que le héros rencontre à Venise où il est venu dénicher le peintre napolitain Osvaldo, amant volage de Monica et un peu escroc. Le déplacement du héros à Naples est l'occasion d'une sévère peinture. « À peine sorti de la gare, je me tournai de tous côtés pour voir la mer, le Vésuve et le grand pin maritime que j'avais imprimés dans la tête. Je ne vis que des espèces de vilains grands palais, des places mal pavées (…), des gens sales et débraillés, des ordures (…) le linge qui pend aux fenêtres de maisons en maisons, les gamins demi-nus qui vous courent derrière(…), le désordre, la pauvreté, le pittoresque…» Bref un regard irrité de Lombard sur le Mezzogiorno.
À chaque chapitre l'humour est présent, c'est par exemple l'escroquerie dont le beau-frère Silvio est victime, lui qui croyait avoir acheté un Leonardo de Vinci en même temps que quelques croutes d'Osvaldo — tableaux magiques dont les personnages s'évadent lors d'une soirée arrosée et libertine dans une taverne consacrée au jeu de "passatella". Plus que l'alcool, c'est le désir inassouvi ou non de Gabriella, la recherche de Gabriella à la jupe trop courte, qui fait passer Filippo d'un univers à un autre. Mais ne lui épargne pas de commettre un crime sur la personne de son meilleur ami. Et l'essentiel du roman est bien la proximité entre le rêve et la réalité, mais cette confluence devenue tragique mène tout droit Filippo dans l'établissement du professeur Barelli qui a lu Jung et les psychanalystes.
• Gian DAULI - Magie blanche. Traduit de l'italien par Marie Canavaggia et J.-N. Schifano. Éditions Desjonquères, 1985, 416 pages.