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Cet ouvrage d'anthropologie historique constitue le premier volume d'une vaste recherche. Consacré à l'Afrique, les deux suivants concerneront l'Asie-Océanie puis le continent américain. Chercheur au Guille-Cannibalisme.jpgCNRS, M. Guille-Escuret entend dénoncer le rejet autant que les interprétations tendancieuses du cannibalisme par l'anthropologie occidentale. Cette "science de civilisés" a de tout temps considéré l'anthropophagie comme relevant de la préhistoire et de la bestialité et refusé d'y voir un sujet d'étude. "L'anthropologie ne digère pas le cannibalisme" et l'auteur en révèle les raisons. Il est trop facile de le reléguer du côté de la "Nature" et de le croire disparu quand une société entre dans la "culture", et dans l'Histoire : même les sociétés les plus primitives ne considéraient pas l'anthropophagie comme normale, et la civilisation ne l'a pas éradiquée.

Selon la conception darwinienne de l'évolution, les hommes des sociétés primitives et acéphales, nomades de la forêt, se seraient livrés à la prédation de leurs semblables pour satisfaire leurs instincts bestiaux. En revanche, lorsqu'apparurent des sociétés d'hommes sédentaires, au pouvoir politique fort, de religion monothéiste, structurées selon une forte hiérarchie et une nette spécialisation des tâches, les instincts sociaux auraient prévalu ; le sentiment de sympathie envers autrui et la protection des faibles, l'entrée dans la civilisation, auraient entraîné l'exténuation progressive du cannibalisme.

Cette conception est erronée selon l'auteur. Lors des diverses colonisations ont sévi des "nations cannibales", civilisées et pourtant exterminatrices des indigènes ; dans des sociétés désormais entrées dans l'Histoire le cannibalisme se manifeste, toujours sporadique et très localisé : au Libéria, les enfants-soldats, sous l'influence des sorciers et des drogues, mangent leurs ennemis : le despotisme a récupéré l'anthropophagie.

Les plus anciens textes comme les témoignages recueillis par M.Guille-Escuret en Centrafrique attestent que l'anthropophage n'est pas un fauve dévorateur aux antipodes du civilisé. Il faut distinguer la chasse de la guerre : même les sociétés les plus primitives ont refusé la prédation du congénère, sauf dans des situations de graves crises sociales ou apparaissent des cas d'endocannibalisme alimentaire par exemple. La chasse aux têtes, l'exocannibalisme guerrier et l'anthropophagie funéraire sont moins rares et portent une signification symbolique. L'homme mange son égal politique, ou l'esclave, butin de guerre : en ingérant cette "chair noble" de combattant, ou une partie du corps d'un défunt, il en assimile la puissance et accroît sa propre force : l'horreur de la manducation grandit son honneur. Mais jamais l'homme noir ne mange un inférieur, un serviteur.

Selon l'auteur, la colonisation a réactivé, voire déclenché le cannibalisme en Afrique de l'Ouest. On ne peut prétendre, comme Sarkozy dans le discours de Dakar, que ces sociétés étaient alors hors de l'Histoire, qui subirent des siècles de traite! C'est par réaction d'insoumission à cette histoire imposée qu'est apparue l'hystérie prédatrice : les Noirs ne revoyaient jamais les corps des parents capturés et soupçonnaient les Blancs de les dévorer ; ils ont préféré manger leurs captifs que de les livrer comme inférieurs aux Occidentaux. Ils ont imité ce qu'ils croyaient être le cannibalisme des Blancs.

L'anthropophagie peut toujours réapparaître, même dans des sociétés civilisées, lorsqu'éclate une violente situation de crise. Au lieu de rejeter avec répulsion ces Noirs comme une racaille perverse, l'anthropologie doit tenter de comprendre le cannibalisme : s'en tenir au faux débat opposant la nature à la culture l'exonère trop facilement.

Georges GUILLE-ESCURET

Sociologie comparée du Cannibalisme. 1- Proies et captifs en Afrique.

PUF, 2010, 355 pages.

Du même auteur, voir aussi : Les mangeurs d'autres

 

 

 

Tag(s) : #ANTHROPOLOGIE, #AFRIQUE
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