Depuis les analyses de Bourdieu et Passeron, il est admis que la reproduction sociale fonctionne : les enfants de familles à fort capital socioéconomique et culturel ignorent l'échec scolaire. Or, selon la sociologue Henri-Panabière, ce n'est pas si simple : 11% de ces "héritiers" échouent au bac ; c'est peu, mais suffisant pour dépasser l'affirmation bourdieusienne : car la transmission de l'héritage familial n'est pas systématique, et ne fournit pas toujours des ressources scolairement rentables. Sans culpabiliser ces "méshéritiers" ni accuser leurs parents d'irresponsabilité, la sociologue pointe des dysfonctionnements de la configuration familiale, des interactions tendues avec le contexte scolaire qui mettent en grande difficulté ceux qui "avaient tout pour réussir".
• Certaines caractéristiques familiales permettent à un enfant de développer des dispositions de réussite scolaire : des parents fortement diplômés du supérieur, surtout la mère, plus souvent chargée des tâches éducatives ; la pratique régulière de lecture de livres dont on parle en famille ; surtout des contraintes familiales préparant l'enfant aux contraintes scolaires (un emploi du temps, un planning domestiques, des consignes de tâches à effectuer); des parents qui apprennent à l'enfant à différer un plaisir, qui valorisent les savoirs scolaires et accompagnent le travail du soir : il intériorise alors aisément la nécessité de règles et de normes. G. Henri-Panabière démontre que cette configuration familiale positive n'est pas le fait de tous les parents fortement dotés. Si ces derniers sont très accaparés par leur profession, ils restent peu disponibles pour aider et écouter leur enfant ; si les grands-parents ont manqué d'héritage culturel, les parents ne peuvent guère transmettre ; si le couple est divorcé, l'encadrement éducatif représente une charge pour le parent resté seul avec les enfants… La sociologue note également les processus d'identification sexuée et d'assignation identitaire : tel père considérera la paresse et l'indiscipline de son fils en classe comme une qualité de futur leader à son image… telle mère sous-estimera le blocage de sa fille en Maths comme une caractéristique héréditaire sans conséquence… Les cadets sont plus souvent des méshéritiers que les aînés, l'investissement éducatif parental faiblissant après le premier-né.
• Il appert de cette enquête que les enfants "héritiers" de milieux sociaux fortement dotés ne sont pas voués à réussir ; tout dépend des multiples déterminations qui interagissent dans la configuration familiale. Ainsi, l'insuffisance, voire l'absence de contraintes domestiques entravent l'adaptation de l'enfant aux contraintes scolaires. À l'inverse, les enfants d'une famille modestement dotée réussiront si leurs parents leur assurent une vie domestique protectrice, structurée ; s'ils valorisent l'école et ses obligations. Cette configuration familiale contribue davantage au succès d'un enfant qu'une situation de nanti au sens économico-culturel.
Gaëlle HENRI-PANABIERE : Des "héritiers" en échec scolaire. La Dispute, 2010, 189 pages.