Dans cet essai édité par le CERAP à Abidjan, l'anthropologue Gadou Dakouri saisit la réalité de la sorcellerie en Afrique aujourd'hui. Malgré la colonisation et l'extension de l'école, pratiques et croyances, loin d'avoir disparu, reprennent force. L'auteur se fonde sur son enquête en Côte d'Ivoire et sur les analyses de nombreux confrères tels M. Auger ou M. Favret-Saada en Europe : car croire à la sorcellerie n'est pas spécifique au Continent Noir. C'est un mode particulier de perception du monde – le "sixième sens"– que partagent certaines personnes en tous pays : cette capacité à capter l'invisible, le paranormal, relève de la parapsychologie. En Afrique, quels que soient les milieux sociaux on croit au pouvoir de la parole maléfique, on la redoute et on cherche à s'en protéger, voire à s'en libérer quand on s'en estime victime. Car, pour beaucoup d'Africains, la sorcellerie permet de comprendre, d'expliquer, l'accumulation et la persistance des malheurs dans leur vie – échecs, chômage,stérilité, maladies, mort d'un proche –, de même que la violence et les conflits sociaux: "la persistance du malheur conduit à l'attribution quasi- automatique de l'infortune à la sorcellerie".
Le sorcier, souvent un proche, un parent, détient ce pouvoir de malfaisance occulte ; habité à son insu par des esprits, jamais ouvertement connu, ce "mangeur d'hommes" se nourrit de l'infortune de tous. Ses pouvoirs inconscients le poussent à l'action nocturne : soit par des rituels d'envoûtement sur les cheveux, sur une photo de sa victime, soit par la parole ou le regard pour proférer une malédiction ou jeter un sort. Seuls le devin, le guérisseur, désormais le pasteur peuvent délivrer la victime. Les pratiques effraient tous les Africains, et de plus en plus les fonctionnaires, les responsables politiques, tous ceux qui exercent des responsabilités et sur qui repose l'espoir d'une famille ou d'une entreprise.
Certes la science explique ces faits sorcellaires : ce sont des phénomènes parapsychiques (télépathie, télékinésie, précognition...) dont sont douées certaines personnes en tous pays ; mais en Afrique ils prennent la dimension d'un fait social tyrannique. Tous y croient en raison de leur conception du monde, à la fois invisible – lieu des causes et des êtres spirituels – et visible, lieu des effets et des vivants. Le cosmos est un, où circule la même énergie vitale : chaque humain est relié aux autres, en symbiose avec les règnes minéral, végétal et animal : il exécute un destin et n'a aucunement conscience d'être responsable des événements de son existence : se protéger des esprits malfaisants reste son seul recours.
La mondialisation, le surgissement de la modernité occidentale, en précarisant le quotidien, renforcent la croyance à la sorcellerie. Et les églises pentecôtistes triomphent car elles offrent aux Africains la possibilité de ne plus être victimes mais acteurs de leur vie. À l'inverse de l'Église catholique qui prône l'oubli de soi, les Églises des Assemblées de Dieu prennent en compte la subjectivité de chacun, lui offrent une écoute empathique et valorisent ses capacités. Par un habile glissement de vocabulaire les pasteurs opèrent un transfert de croyance : le sorcier devient Satan-le-démon; la prière, la danse et la transe garantissent la délivrance.
"La sorcellerie marche si et seulement si la victime présumée adhère à la croyance en la sorcellerie" : c'est le cas en Afrique et le Pentecôtisme entretient cette croyance qui légitime son action. Toutefois, les esprits rationalistes occidentaux ont tort d'ironiser: même au Nord, la modernité n'est pas devenue pour tous synonyme de " désenchantement du monde".
• GADOU Dakouri. La Sorcellerie, une réalité vivante en Afrique. Les Éditions du CERAP, Abidjan, 2011, 166 pages. - ISBN 9782915352771
Lu par Kate