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Dans ce nouveau roman, Fabrice Humbert affronte le monde de la finance et l'économie de marché dans nos sociétés mondialisées. Grâce à l'alternance des points de vue et à l'insertion très naturelle de chaque personnage dans son milieu professionnel, la lecture ne Fortune_de_sila.jpegpèse pas. De plus, un tel projet convoque le réalisme : de juin 95 à avril 2009, du crépuscule de l'U.R.S.S. à la crise des subprimes, les acteurs se croisent entre Paris, New York, Londres et Moscou. Fabrice Humbert maîtrise autant l'évolution économique mondiale que le pouvoir croissant des banques et de la finance, sans jamais obscurcir la progression de l'intrigue. Il l'organise comme une tragédie : dès le Prologue la mécanique fatale se met en marche ; l'épilogue dénoue, dans une "jouissance barbare" et destructrice, les destins intriqués et inéluctables des personnages.

À l'ouverture, quelques commensaux dînent au restaurant d'un Grand Hôtel parisien : Matthieu Brunel et son ami Simon Judal qui fête sa récente embauche comme ingénieur financier dans une banque londonienne ; à une autre table, Lev Kravchenko, oligarque russe, et sa femme Elena ; enfin, Mark Ruffle, promoteur immobilier américain de passage à Paris avec son épouse Soshana et leur fils. Celui-ci, jouant entre les tables, gêne Sila, le serveur noir, qui le pousse ; Mark se jette sur lui et lui brise le nez... Aucun des clients ne réagit, par lâcheté, par indifférence ; mais ce refus d'assistance à personne en danger scelle le destin de la plupart, comme Elena le signifiera à Lev : « Tu t'es perdu le jour où tu n'as pas aidé ce serveur noir... Ce fut ta défaite... et la mienne".»

Certes, chaque personnage connaît, un temps, la bonne fortune. Celle de Sila, le sans-papiers africain, fut d'avoir été embauché par le patron de ce Grand hôtel parisien, mais ce dîner en sonne le glas ; Simon, l'asocial fort en maths à la gigantesque mémoire, gagne bien sa vie à Londres : cependant, manipulé autant par son ami profiteur que par le système bancaire, il abandonnera. Après avoir connu la puissance et la fortune grâce à sa compagnie pétrolière, Lev sera éliminé... Néanmoins pour Mark, le roi des subprimes et l'agresseur de Sila, « tout va pour le mieux dans la meilleur des mondes !» Nul cynisme sous la plume du romancier pourtant ; il regarde nos sociétés occidentales dominées par le jeu financier dépourvu de toute morale. Les hommes n'y sont que des "aléas" sans existence propre, ni liberté de choix ni responsabilité, emportés par la puissance de l'argent. Exceptés Simon le naïf, Elena et Soshana, nantis d'un reste de conscience morale, les personnages masculins apparaissent peu "vertueux", sans cesse « tourmentés par des désirs inextinguibles.» Le contexte économique et financier décuple la violence de leurs pulsions, les rend cyniques, amers et cruels.

Une fois encore on a sauvé les banques, et tant pis pour les pauvres qui dorment à nouveau dans la rue. L'économie mondialisée, la finance omnipotente privent leurs acteurs du choix de leur vie et confirment « la fin du règne sans partage de l'occident.» Fabrice Humbert livre ici sa perception personnelle de nos sociétés mondialisées où beaucoup perdraient toute humanité ; quoi que le lecteur en pense, elle peut toutefois donner à réfléchir.

 

Fabrice HUMBERT

La fortune de Sila

Le Passage, 2010, 316 pages.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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